S’il fallait une preuve que l’art contemporain n’est qu’une lubie d’artiste déconnecté pour des riches en quête de métaphysique du vide, on la trouve dans la posture aristocratique qui l’accompagne. Les gens méprisent l’art contemporain ou bien s’en désintéressent, tout simplement. Cela ne dérange pas du tout les tenants de l’art contemporain.
Il existe de très nombreux ouvrages sur l’art, les artistes et il est tout à fait nécessaire pour un appartement bourgeois, comme il faut, de disposer de deux choses : une bibliothèque avec des romans classiques ou bien à la mode, qui ne seront jamais lus, et des ouvrages épais sur l’art, disposés ici et là. C’est à cela qu’on reconnaît qu’on est chez des gens pour qui la culture serait établie.
Aussi paradoxal que cela soit, ces ouvrages d’art ne portent pas sur l’art contemporain, ils vont au maximum jusqu’à l’art moderne, s’arrêtant autour de Picasso, ou bien s’il va plus loin, en reste toujours à quelque chose de figuratif. Dans tous les cas, des ouvrages d’art sur l’architecture indienne, le peinture japonaise classique ou bien Van Gogh sont plus estimés que les ouvrages prenant les dernières expositions « contemporaines ». Dans tous les cas, et heureusement, il est reconnu que la couleur et surtout la représentation de quelque chose est ce qui a de la valeur, par rapport au vide de l’art contemporain.
Les artistes relevant de l’art contemporain s’en moquent totalement et c’est cela qui est intéressant, car foncièrement révélateur. Ils n’ont aucun esprit démocratique, aucune tendance à se lier à la culture de leur pays. Ils flottent dans un espèce de nuage cosmopolite propre aux très grandes villes et aux cartes de crédit des ultra-connectés. Plus leurs œuvres sont floues, plus elles obtiennent une aura métaphysique sur un marché valant des milliards d’euros, et c’est cela qui compte.
Les artistes de l’art contemporain ne cherchent même plus à se justifier par des écrits théoriques, des manifestes, d’ailleurs ils ne peuvent plus, car ils sont à la fois dans l’instinctif et dans l’ultra-individualisme. Même si Jeff Koons emploie un personnel très nombreux pour réaliser ses œuvres – il faudrait parler de méfaits -, jamais il n’aurait l’idée de concevoir son activité comme quelque chose de collectif. Avec l’art contemporain, ce n’est même pas le pays qui est remis en cause, c’est le principe même de collectivité. On se limite au prétendu goût de chacun, et chaque goût serait unique.
Comme on est loin ici des artistes du 19e siècle qui, même s’ils étaient parfois farfelus et hautains, n’en étaient pas moins des gens considérant que l’art devait être répandu. Même lorsqu’il y avait la considération que l’art était « pur », « céleste », « mystique » – qu’on pense au délire symboliste à Paris avec le Sâr Péladan et la mode des Rose-Croix à laquelle avait cédé le « tout Paris » – il y avait la considération qu’il était du devoir de chaque être éduqué d’y accéder.
Il n’y a rien de tout cela dans l’art contemporain qui, il faut le dire, s’en fout. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens éduqués cherchant à faire passer la culture et à faire connaître l’art contemporain, mais ils doivent bien reconnaître que leur effort a un souci fondamental : l’absence totale d’aide de la part des artistes « contemporains » qui vivent dans leur bulle et méprisent ce qui n’en relève pas.
Cet esprit aristocratique de l’art contemporain n’est, au sens strict d’ailleurs, qu’un individualisme, puisque les artistes « contemporains » ne se veulent pas une élite, pas plus qu’ils n’aspirent qu’à guider ou diriger ou commander les gens. Mais on aurait tort de croire qu’un tel esprit aristocratique, propre à l’esclavagisme des temps passés ou au féodalisme, ne se soit pas transformé, modernisé, répondant à des besoins nouveaux.
Le mépris de l’artiste « contemporain », en effet, n’est que le pendant du mépris aristocratique authentique de couches sociales dominantes portant un regard métaphysique sur le monde, formant une sorte d’élite agressive et hautaine au possible, dédaignant le peuple non pas comme simplement arriéré ou stupide, mais comme inexistant, impalpable, abstrait.
Il ne faut pas ici tomber dans le raccourci facile et y voir une « oligarchie », c’est toute la bourgeoisie qui apprécie l’art contemporain, même quand elle ne met pas dans son salon un Basquiat ou un tableau blanc sur blanc avec des liserés de blanc. Elle a même ici sa représentation dans la pièce de Yasmina Reza, Art, une pièce de théâtre avec des CSP++, destinée à des CSP++, avec comme morale que, qu’on aime l’art contemporain ou pas, il fait partie du paysage car chacun a ses goûts, comme le principe du libéralisme l’exige.
Ce qui correspond bien à la fonction de l’art contemporain : bien mettre les masses, avec leur attention sur le concret, le réel, de côté. Qu’on pense simplement au film Intouchables, où le riche bien élevé donne une véritable leçon de métaphysique au prolétaire inculte et pragmatique. C’est une scène qui se veut un portrait mais indique bien la fonction à l’arrière-plan de l’art contemporain, ce snobisme métaphysique pour des gens aisés déconnectés de la réalité et vivant dans une bulle d’aisance matérielle, pleine de vide intellectuelle, morale et culturelle.