La distinction entre les concepts de solennité et de conventionnel est très importante. Il y a le risque sinon, en effet, de ne pas saisir les exigences de gens d’une perspective de civilisation. Et le capitalisme en crise saborde cette perspective.
Pour former les esprits, il faut qu’il y ait des moments de solennité pour souligner ce qui est important. Or, rien ne peut être important au sens strict dans une société capitaliste, car tout dépend des individus et est par conséquent relatif. La loi du marché, qui célèbre le particulier, rentre inlassablement en conflit avec la civilisation, qui présuppose l’universel.
C’est pour cela que des événements comme le 14 juillet, le 11 novembre, qui auparavant se voulaient des moments emprunts de solennité, ne sont désormais pris que comme des conventions incontournables qu’il faut respecter, parce qu’il en est ainsi. L’idéologie dominante n’est plus en mesure de proposer du contenu, elle ne peut que justifier un cadre en disant qu’après tout cela pourrait être pire, et qu’en plus cela peut être mieux.
Il y a ici un aspect important sur le plan de l’histoire des idées, un changement profond qu’il faut bien évaluer à sa juste mesure, car cela ne peut pas en rester ainsi. Si l’on prend les années 1920-1930, l’extrême-droite prétendait affirmer une nouvelle solennité.
Aujourd’hui, elle ne le fait plus du tout, elle a abandonné toute prétention « totalitaire » pour se cantonner dans des dénonciations populistes.
Si l’on prend la Gauche des années 1920-1930, on peut s’apercevoir qu’elle aussi affirmait la solennité. Pas la même que l’extrême-droite bien sûr, mais une solennité quand même, celle du Socialisme, de la classe ouvrière, du Parti de la classe ouvrière. Or, aujourd’hui la Gauche se cantonne dans l’affirmation de conventions « modernisées », voire la philosophie de la remise perpétuelle en question des conventions. C’est la « Gauche » version turbocapitaliste, de philosophie post-industrielle, post-moderne.
Or, si le capitalisme qui relativise tout ne tourne plus, alors sa pression va céder d’autant. Ce qui signifie qu’il y aura, en conséquence, une réaffirmation de la solennité. Marion Maréchal Le Pen est ainsi bien plus dangereuse que Marine Le Pen, car si cette dernière est une populiste opportuniste, elle est en ce qui la concerne une véritable conservatrice révolutionnaire, ayant la solennité en ligne de mire.
Face à cela, seule une autre solennité pourra être mise en avant. Parce que c’est une question de civilisation, et que si le capitalisme ne tourne plus, alors tout s’effondre et les gens ne veulent pas que tout s’effondre. Le Fascisme proposera une nouvelle solennité, et par conséquent la Gauche devra en faire de même, qu’elle le veuille ou non.
Cela signifie que ni la gauche version post-moderne ni les anarchistes ne pourront être des alliés de la vraie Gauche. Car leur ligne est la déconstruction, la déstructuration, le refus des conventions. C’est la même philosophie « progressiste » que La République En Marche et Emmanuel Macron.
S’imagine-t-on, alors que le capitalisme est en crise, aller voir les gens et dire que ce n’est pas grave et que ce qui compte, c’est de faire sauter les conventions ? Personne ne comprendrait. Les gens attendront une proposition d’ordre, de valeurs, de construction, de perspective. Ils voudront que soit proposée une orientation allant dans le sens de la civilisation. Ils savent qu’il faut des moments de solennité – et cela, les ouvriers le savent.
Le fascisme, s’il faut définir sa substance, consiste justement en une tentative de hold-up de cette quête de solennité. C’est pour cela qu’il a besoin de mises en scène théâtrales, d’une esthétique « monumentaliste » sans contenu autre que symbolique, de mots d’ordre volontaristes, etc.
À la Gauche d’assumer ses propres valeurs jusqu’au bout et d’être capable de proposer des perspectives de maintien et de développement de la civilisation. Sans cela, non seulement elle ne sera pas elle-même, mais, en plus, ce sera la défaite face au Fascisme !