Le terme de culture doit être pris au sens strict : la culture cultive, se cultive et laisser les choses en friche, c’est se perdre. Cela va donc à l’opposé de la culture comme acquisition définitive d’idées ou de valeurs ou de connaissances.
La culture a toujours été l’un des grands thèmes de la Gauche ; il y a toujours eu le souci d’élever le niveau des travailleurs et de leur donner l’accès aux connaissances scientifiques et techniques, aux arts, à l’histoire… Surtout qu’avant les années 1960, le niveau matériel était faible et il était très difficile d’y parvenir. Le mouvement ouvrier a donc toujours particulièrement souligné la valeur de la culture, qui ne devait pas rester dans les mains des couches sociales dominantes, mais parvenir entre toutes les mains, être saisi par tous les esprits.
Il va de soi qu’un telle conception n’était pas du tout partagée par les syndicalistes et par les anarchistes, partisans de la propagande par le fait et considérant tout cela comme des obsessions propres aux intellectuels. La Gauche française a été longtemps malmenée par un tel rejet de la culture et l’un des épisodes les plus dramatiques fut l’affaire Dreyfus. La Gauche, faisant de la culture son drapeau, voyait bien ce que cela représentait sur le plan de l’humanité, des valeurs, alors qu’évidemment les « ultras » s’en désintéressaient complètement.
On pourrait dire pareillement, toutes choses étant égales par ailleurs, avec les gilets jaunes, ce mouvement anti-intellectuel et apolitique qui est une véritable torpille prête à couler la Gauche. Quand on connaît la valeur de la culture, on ne peut que réprouver le style populiste des gilets jaunes dans sa définition même. Car la culture se cultive et avec les gilets jaunes, c’est la stérilité culturelle assumée.
On sait évidemment que certains ont trop cultivé la culture, tout au moins pas la bonne ; les cadres du PCF dans les mairies et ceux du PS dans les ministères se sont forgés une véritable culture, mais celle-ci est devenue toujours plus personnelle, plus corrompue par une forme d’aisance matérielle et de reconnaissance sociale. Là c’est fatal, car on se coupe du peuple, on s’en sépare et on ne le remarque même pas. Le résultat est une profonde incompréhension de part et d’autre et cela aide bien entendu le populisme.
Que doit faire la Gauche pour insister que la culture se cultive, sans pour autant s’embourgeoiser ? Eh bien simplement toujours avoir en tête que quand on se cultive soi-même, on doit faire passer le message. La transmission est la base de la culture, parce qu’elle la fait vivre, la confronte au réel. Quand on a appris quelque chose et qu’on le transmet, on adapte ses connaissances à ce sujet, on les affine. Ce qui a perdu la Gauche française, c’est de ne pas avoir fait vivre cette transmission.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu des moments importants de cela. Les militants du PCF allant faire du porte à porte pour vendre l’Humanité dimanche ont été de véritables vecteurs de culture et de socialisation, tout comme un mouvement comme Touche pas à mon pote. Il serait faux de dire que rien n’a été fait, qu’il n’y a pas eu des milliers et des milliers de personnes de Gauche qui se soient sacrifiées pour se faire le vecteur de valeurs, de principes, de connaissances.
C’est dans l’ADN de la Gauche et la fête de Lutte Ouvrière, si elle propose étrangement des jeux dans l’ambiance médiévale, n’oublie pas pour autant d’avoir des ateliers de présentation de grands concepts scientifiques.
C’est là une tradition des Lumières si l’on veut, mais une tradition renouvelée, portée par le mouvement ouvrier, avec l’idée que puisque les classes dominantes ne sont plus à la hauteur, alors on va porter la culture à sa place. Il va de soi que ce n’est pas là une idée dépassée, bien au contraire, c’est une idée tout à fait actuelle. Et même la grande idée du moment, si l’on voit la déferlante de la fachosphère, de la quenelle de Dieudonné, des gilets jaunes et de tout ce populisme diffus, malsain, s’exprimant sur la base d’une dynamique élémentaire, primitive.
Il faut que la Gauche réactive la démarche de la culture, de faire vivre la culture, c’est de ce terreau que la Gauche pourra partir à la reconquête de l’ensemble de la population laborieuse. Tout est une question de valeurs, de principes, de morale, de connaissances.