Faire du vélo, c’est bien et c’est mieux que prendre la voiture, si on peut éviter. Mais croire qu’avec cela on évite l’agressivité, le fétichisme, l’individualisme, c’est lourdement se tromper.
Ah, le vélo ! Quel plaisir de plonger dans les rues de la ville, libre de tout souci de transport en commun, en se précipitant à coups de pieds sur le pédalier ! « A bicyclette… » On se sent comme grisé, et cette euphorie n’a pas seulement un lien avec l’endorphine produit par l’effort donné. Il y a également ce sentiment, à la fois snob et rassurant, de faire quelque chose de bien pour l’environnement. On ne pollue pas, on ne contribue pas à la toute-puissance de l’automobile.
Et puis, les automobilistes, quelle bande de cons ! Entre leur agressivité, leur irresponsabilité, leur fétiche de la voiture, leur confiance aveugle en la route, l’autoroute, le pied sur le champignon comme vecteur du déplacement ! Quelle joie alors d’être cycliste, au cœur de la ville, loin des beaufs et de leur style de vie !
Ce dernier point de vue est-il une caricature ? Pas tant que cela, finalement. Car les cyclistes ressemblent finalement sur beaucoup de points aux automobilistes. Ils ont le même fétichisme complet de leur propre activité. Ceux qui relativisent celle-ci sont des ennemis et le mépris du cycliste pour le piéton vaut bien celui de l’automobiliste. Quant à l’agressivité, elle devient rapidement la même.
Il ne faut pas croire non plus que le vélo soit quelque chose de simple, du type on monte dessus et hop c’est parti. Il faut en effet aller d’abord le chercher, dans la rue ou dans le local à vélos. Il faut le décadenasser. Ah mais voilà que faire des antivols ? Alors, là, il faut soit l’accrocher sur le vélo, ce qui est une opération hautement intellectuelle, car il faut bien le caser pour pas que cela ne dérange quant on roule. Ou bien on le met dans un sac : ah, il faut un sac à dos! Mais quel type de sac ? Et il faut toujours l’avoir sur soi, même quand on s’est garé et qu’on n’a plus l’antivol ?
Ce n’est pas tout : il faut regarder la météo. La pluie exige un certain habillement. Et puis on a vite chaud quand on pédale, on est en sueur, il faut prévoir le coup pour ne pas être trop dérangé après coup. Il y a le vent également, à prendre en compte.
Et puis il ne faut pas oublier les lumières ! C’est une question de sécurité. Là évidemment on peut la jouer à la française, avec le style nonchalant. Toutefois une véritable sécurité, c’est une lumière fixe devant, une lumière clignotante derrière, des réfléchissants à la fois devant et derrière, ainsi que plusieurs sur chaque roue pour les côtés, et sur chacun des deux côtés de chaque pédale.
Ouf ! Tout cela pour dire que c’est une intendance. Que le côté spontané et libre du cycliste relève de la mythomanie. Que même si on prend un vélo empruntable sur abonnement, il reste la question de la conduite, de l’habillement, de le trouver, de le garer au bon endroit, etc.
Tout cela fait que le cycliste a une démarche complexe, que lui imagine simple, et c’est pourquoi il devient aussi bien un beauf, sans même s’en apercevoir, dans ses attitudes avec les autres, en particulier les piétons, mais aussi les autres cyclistes, ou bien les automobilistes.
Somme toute, le cycliste, c’est un peu le motard mais avec une moto sans moteur. Ce qui lui accorde une dimension écologiste indubitable, et puis cet aspect sportif. C’est plutôt bien ! Mais cela se retourne aussi bien en son contraire, avec la même pose que le motard, le même individualisme, la même attitude qui est celle de la caricature exposée dans les films américains, avec ce motard sans casque roulant à fond la caisse sur une route traversant le désert.
Les motards et les cyclistes se croient bien dans un désert, ne portant plus leur attention qu’envers eux-mêmes surtout…