La tombe de Karl Marx a connu deux séries de violentes dégradations, dans une optique violemment opposée à l’idée de socialisme. Si cela n’étonne pas en soi, cela rappelle que le rejet de la Gauche s’assume toujours plus ouvertement dans tous les pays, sous une forme très radicale appelant ni plus ni moins à sa liquidation.
La tombe de Karl Marx, avec une sorte de petit monument financé par le Parti Communiste de Grande-Bretagne et inauguré en 1956, se situe à Londres, où il a longtemps habité, ayant dû fuir l’Allemagne. Elle est dans un cimetière du nord de la ville, le Highgate cemetery ; le corps de Karl Marx y repose avec celui de sa femme Jenny, ainsi que trois autres membres de sa famille.
En 1975, une association a pris en charge le maintien de ce cimetière de 15 hectares et de 53 000 tombes, dont l’entrée à la section Est, avec la tombe de Karl Marx, est désormais payante pour financer les frais d’entretien, alors que la section ouest est fermée au public à part pour quelques visites guidées, formant une sorte de petit paradis pour la Nature qui y a repris ses droits.
La tombe de Karl Marx en est la plus marquante politiquement, bien entendu, et elle a connu plusieurs actes de dégradations, et même deux tentative d’attaques à l’explosif, en 1965 et en 1970. Deux récentes dégradations, une dans la première semaine de février 2019, une à la mi-février, ont marqué les esprits. La première a consisté en une attaque au marteau, la seconde en des slogans écrits à la peinture rouge : « doctrine de haine », « architecte de génocide, de terreur et d’oppression », « meurtre de masse », « idéologie de la famine », « mémorial à l’holocauste bolchevik 1917-1953 », « 66 000 000 de morts ».
Pour trouver une dénonciation aussi brutale dans son style, il faut se tourner vers l’Ukraine, où tout ce qui relève du socialisme de près ou de loin est criminalisé de manière virulente, alors que l’État polonais aimerait bien faire de même. Car on n’est pas ici dans un simple refus, ou bien une dénonciation, on est dans une dynamique violente visant la Gauche et cherchant à obtenir sa liquidation. L’anti-socialisme, l’anti-communisme, le rejet de tout ce qui relève de la Gauche historique est particulièrement virulent, et ce dans tous les pays.
Cela ne vient pas que de la Droite ; ainsi, si l’on regarde bien, ni le PS, ni le PCF, ni LFI, ni Génération-s ne se revendiquent de Karl Marx, voire même ne s’en sont jamais revendiqués ; au mieux le considèrent-ils aujourd’hui comme dépassé, mais utile pour l’inspiration. Ainsi, la Gauche française a en général une orientation favorable à Karl Marx dans une approche très romantique. Karl Marx n’est pas lu, mais il symbolise la « critique du capitalisme » ; on ne le lit pas – de toutes façons c’est trop long, trop « dogmatique » et puis l’économie politique c’est bon pour les Allemands, pas les Français – mais on a tout de même certains de ses livres.
Il y a là une certaine schizophrénie française, qui ne date pas d’hier puisque déjà la SFIO d’avant 1914 n’était pas une réelle social-démocratie, mais un conglomérat de courants divers et variés, ayant déjà cette lecture amour-haine de Karl Marx. Rien n’a bien changé depuis ce temps-là. Le problème est évidemment que Karl Marx, qu’on le lise ou pas, représente quelque chose de très puissant historiquement, au-delà de ses idées mêmes, puisqu’il est celui qui a mis en place la première Internationale dans sa forme socialiste.
Les anarchistes ont publié une liste sans fin d’ouvrages dénonçant ce « coup de force » de Karl Marx, exprimant une nostalgie pour l’époque où l’anarchisme aurait pu, aurait dû prendre les commandes du mouvement ouvrier. Mais à part eux en France, personne ne s’intéresse à cette question, qui fait pourtant de Karl Marx, comme le montrent les dégradations, la première grande figure historique du socialisme, du mouvement ouvrier social-démocrate.
Cela signifie que la Gauche française ne pourra pas faire l’économie d’un choix à ce sujet ; il faudra bien qu’elle assume Karl Marx ou non, mais elle ne pourra pas éternellement contourner cette question. Rien que la question « les ouvriers sont-ils exploités dans le capitalisme ? » exige une réponse, qui ne peut être que positive ou négative, sans nuances. Soit la théorie de la « plus-value » de Karl Marx est juste, soit elle est fausse.
Et cette question ne sera pas, vue la situation, posée par la Gauche ; elle sera posée par la Droite, qui voudra aller toujours plus loin et exiger toujours plus de « renoncement » de la part de la Gauche. Un jour il sera demandé franchement l’anti-socialisme, l’anti-communisme. C’est absolument inévitable. Il ne faut d’ailleurs pas se voiler la face et beaucoup de gens dans le PS, le PCF, aimeraient bien se débarrasser des termes socialiste et communiste. Génération-s et la France Insoumise l’ont déjà fait et ce n’est pas pour rien.
La protection du patrimoine historique du mouvement ouvrier prendra ainsi inéluctablement dans un certain temps une tournure brutale, posant d’immenses problèmes à Gauche, mais, espérons-le, traçant également des perspectives plus claires.