La superstition reste présente partout et les madames soleil savent être des confidentes, des conseillères, des miroirs des inquiétudes.
Il y a si on y regarde bien toujours une trace ici ou là de superstition dans ce qu’on fait, ou bien dans ce qu’on ne fait pas. Tel esprit lucide et clairvoyant sur l’importance de la rationalité s’évertuera pourtant à ne jamais prendre le même chemin en voiture : est-ce là un goût, ou bien une superstition ? Tel autre préférera tel numéro à un autre, telle lettre à une autre, telle place à table à une autre, telle boîte de conserve au supermarché à une autre. Intuition, inquiétude sans fondement ?
Est-ce d‘ailleurs pour cela que les compagnies aériennes low cost placent les gens au hasard et qu’il faut payer pour choisir sa place ? Après tout c’est sans intérêt. Mais celui qui craindra pour sa vie achètera une position près de la sortie de secours, celui qui est superstitieux saura au fond de lui pourquoi 5A est mieux que 19C. Cela peut ne pas être anecdotique, après tous les revues et journaux pullulent d’horoscopes.
Cette histoire d’horoscope est d’ailleurs logique et absurde, puisque les planètes sont censées fonctionner de la même manière que des événements nous concernant parce que né tel mois à tel endroit, et cela serait valable à travers les siècles, au-delà des cultures, des situations. Cela peut sembler logique dans l’antiquité quand on cherchait une rationalité à l’ordre du monde, mais aujourd’hui on sait qu’il faut la chercher ailleurs, au moyen de la science, dont l’astrologie n’est pas une composante.
Sans doute cherche-t-on à se rassurer. Au cours d’une discussion, un personnage sympathique a fait part à d’autres d’une anecdote à ce sujet. Il allait voir une amie de lycée perdue de vue depuis quelques temps, dans la foulée de l’éparpillement post-bac. Au gros chien affectueux présent dans le salon s’ajoutait la voix de la mère, astrologue, qui s’activait à répondre à des coups de fil dans une pièce plus loin dans l’appartement.
Paraît-il que ce fut un cours de psychologie. La personne appelle l’astrologue pour savoir si tel ou tel événement, comme une rencontre hypothétiquement sentimentale, allait bien tourner. De manière habile et efficace, l’astrologue parvenait à soutirer des informations à ce sujet, et en fonction des réponses, du ton de la voix, etc., parvenait à deviner si c’était un emballement ou une rencontre possiblement sérieuse. Les réponses ambiguës, ni vraiment oui ni vraiment non, se combinaient donc avec l’affirmation d’une vraie tendance, qui seraient proches finalement des conseils d’un ami avisé.
On se demande bien sûr comment quelqu’un peut être dupe d’une chose pareille. Sans doute que personne ne l’est vraiment. Il y a quelque chose de rassurant à savoir qu’on va être trompé d’une telle manière qu’on le sache à l’avance. On a l’impression de maîtriser la situation, parce qu’on sait ce qui va se passer : combien de femmes sinon auraient-elles largué leurs compagnons stupides les trompant ! Cependant, comme elles en font le tour, rien de plus ne peut se passer, et c’est déjà pas mal.
Il y a du masochisme là-dedans, très certainement, et les gens qui jouent au loto ne sont pas très nets finalement. Ceux qui jouent aux jeux de grattage le sont encore moins, puisque les chances sont d’une faiblesse extrême et que le fétichisme du grattage opère comme une sorte d’acte magique sans cesse renouvelé. Pour l’anecdote, voici la combine des buralistes avides de gain au mépris des lois et tout à fait cyniques : vous prenez la grosse pile des tickets à gratter dont vous savez qu’elle contient au moins un ticket gagnant d’une grosse somme, et vous les grattez un par un jusqu’à celle-ci. Vous faites semblant que les tickets grattés aient été vendus, puis vous vendez les autres de la pile, qui eux par contre ne contiendront plus le ticket gagnant, mais ça tant pis.
Vu ainsi, les conseils humains de madame soleil sont bien plus cordiaux. On paye, on se fait tromper relativement, on le sait, tout reste chaleureux, et puis il y a l’espoir, on ne sait jamais, que quelque chose arrive quand même… et cela vaut tout l’or du monde.