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L’avocat Emmanuel Pierrat et l’arsenal législatif contre l’antisémitisme

L’avocat et écrivain Emmanuel Pierrat a publié une tribune dans Le Parisien, qui a son importance. Il aborde en effet la question de l’antisémitisme et il dit une chose indiscutable : il existe déjà un arsenal répressif juridique contre l’antisémitisme. C’est la motivation politique pour appliquer la loi qui manque.

Emmanuel Pierrat, avocat et écrivain

« Des portraits de Simone Veil recouverts de croix gammées, le mot Juden tagué sur un magasin Bagelstein, deux arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi sciés, Alain Finkielkraut insulté, des tombes profanées… Le bilan le plus récent est effrayant. Mais il existe surtout une cyberhaine, signée par de courageux anonymes, qui inonde les réseaux sociaux et en particulier Twitter, ce réseau social sur lequel la terrifiante Ligue du LOL a œuvré durant des années.

La France républicaine de 2019 est défiée par les discours et les propos qu’elle croyait réservés aux combattants en déroute de l’État islamique ou du lointain Ku Klux Klan. Emmanuel Macron a déclaré au dîner du Crif que la France mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah. Or, ce faux masque est déjà sanctionné s’il est synonyme -et c’est souvent le cas- d’antisémitisme et non de critique citoyenne de la politique de Benyamin Netanyahou.

L’arsenal législatif est plus que suffisant pour éviter toute dérive. La justice dispose en effet d’instruments nombreux pour condamner les ex-humoristes ou les simples internautes. La loi du 29 juillet 1881 sanctionne tant la diffamation que l’injure et la provocation et envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Sans oublier la pénalisation du révisionnisme, de l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité… Et la loi du 30 décembre 2004 qui est venue réprimer les propos homophobes ou sexistes.

La liberté d’expression -un principe fondamental que nous tenons de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789- ne permet pas de justifier ce qui est un délit et non une opinion. Le 19 février, la Cour de cassation a encore souligné, à propos du sinistre Alain Soral, qu’en matière d’injures à raison de l’origine raciale ou religieuse supposée […], il n’existe pas d’excuse de bonne foi ; et les juges d’ajouter que les propos constitutifs d’injures visant la personne concernée en raison de son origine ou de son orientation sexuelle, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique, ne relèvent pas de la libre critique, participant d’un débat d’intérêt général.

Les arguments du droit américain, partisan d’une liberté d’expression absolue, et de la supposée complexité juridique liée à la globalisation des réseaux sociaux ne sont ni tenables ni plaidables. De fait, en 2013, eBay a fini par retirer de ses catalogues des dizaines d’effets et de souvenirs liés à l’Holocauste (y compris un vêtement porté par un détenu du camp d’extermination d’Auschwitz). Leboncoin en a fait de même, début 2018, alors que s’y vendaient brassards nazis et étoiles jaunes.

Le chef de l’État se déclare pourtant opposé à la levée de l’anonymat sur Internet. Saluons la députée Laetitia Avia qui estime nécessaire de modifier le droit existant, reposant essentiellement sur la loi de confiance sur l’économie numérique qui date de 2004, soit avant l’arrivée de Facebook en France et veut rendre juridiquement responsables les Gafa. Les réseaux sociaux coopèrent spontanément en matière de pédophilie et de terrorisme. Las, pour le reste, Twitter et consorts ne daignent pas répondre aux autorités qui osent à peine toquer, en vain, à leur porte.

Il nous manque une volonté politique permettant au parquet de poursuivre et à la police judiciaire d’agir. Commençons donc par utiliser les armes dont nous disposons déjà et que nous n’osons pas brandir en matière d’évasion fiscale comme de discours de haine. Et nous aurons moins à rougir de nos brebis galeuses. »