Catégories
Réflexions

Les gilets jaunes, un solipsisme dans les sables mouvants

Les Français sont cartésiens : ils pensent qu’ils existent, car ils pensent. Ce qui n’a pas de sens, car pour penser qu’on existe, il faut en avoir conscience et donc penser qu’on pense exister. Mais pour penser penser exister, il faut penser penser penser exister. Et cela à l’infini, d’où la tricherie des partisans de Descartes, qui troquent le « je pense donc je suis » en « je pense, je suis ». Cela ne change rien au fond du problème qui est qu’ils séparent le corps et l’esprit.

Et avec le triomphe de la consommation capitaliste, la « pensée » est consommatrice, faisant de ceux qui ont cette vision du monde un véritable egotrip. C’est proche du solipsisme (du latin solus, seul et ipse, soi-même), qui désigne ce moment où on remet en cause l’existence de toute chose, à part soi-même. Les gilets jaunes sont ici de bons Français.

Lors de ce samedi des gilets jaunes, c’est ce livreur en uniforme de travail qui cherche à récupérer son vélo qui se retrouve au milieu de CRS, en plein milieu des Champs-Élysées. La réponse ne se fait pas attendre, à coups de matraques. Qui donc peut aller chercher à arracher quelque chose, tout seul, à de nombreux CRS ultra-énervés en mode combattant ? C’est très révélateur de l’incompréhension fondamentale de la part des Français de ce qu’est la police, une manifestation, la violence, l’État, la lutte des classes. Plus personne ne comprend rien, les seules attitudes sont individualistes et consommatrices.

Un autre exemple de ce véritable solipsisme, concernant plus directement les gilets jaunes, a été, le 14 décembre 2018 dans le Jura, deux d’entre eux qui ont quitté leur rond-point pour essayer de tuer une brebis à coups de pelle et de fourche ! C’est la France comprise comme un self-service… Heureusement qu’ils ont raté leur coup, sinon on avait ici l’exemple le plus ignoble de toute cette affaire, dont il aurait fallu parler des années en raison de son exemplarité…

Un autre exemple de self-service a été le communiqué des ultras parisiens, se plaignant de la défaite de leur équipe du Paris Saint-Germain, comme si la victoire leur était due par définition. Le PSG est une équipe qui vaut des centaines de millions, les ultras se sont beaucoup investis, donc si l’équipe perd, c’est que les joueurs n’ont pas de « cou… ». Ceux-ci sont le bouc-émissaire explicatif du manque de retour sur investissement des ultras. Si on consomme, alors on a un produit adéquat.

Je pense donc je suis, je pense consommation donc je suis quelqu’un méritant que le produit soit conforme à mes attentes. Et cela se décline pour tout, jusqu’au couple. Les thèses des gilets jaunes sur le tirage au sort des élus, le référendum et autres fantasmagories relèvent ni plus ni moins que de cette déception consommatrice.

Il ne leur viendrait pas à l’idée de s’investir en politique, d’appartenir aux partis les ayant déçus. Il ne leur vient pas à l’idée que la déception la plus grande qu’ils doivent ressentir, c’est par rapport à eux-mêmes. Ils doivent se transcender et ils ne le veulent pas, ils doivent tout assumer et ils ne veulent rien assumer.

Ils veulent rester dans leur bulle, sans responsabilité, juste à faire leur job, juste à chercher une vie dans un endroit normalisé pour ne pas avoir de complications. Pour eux le romantisme n’est qu’un mot, au mieux un mouvement littéraire ; le Socialisme, une abstraction, quelque chose qui n’a aucun sens. La réalité est pour eux un concept philosophique, leur seule certitude est leur relativisme.

Et ils veulent que ce vide continue, encore et encore ; ils ne s’aperçoivent même pas que le vide n’existe pas et qu’il y a toujours quelque chose, ils ne remarquent même pas à quel point en s’imaginant se tirer vers le haut, ils s’empêtrent entièrement. Les gilets jaunes, c’est un solipsisme dans les sables mouvants, qui à force de ne pas réfléchir à ce existe autour de leurs propres egos, s’agitent et renforcent d’autant plus leur enfermement dans le monde capitaliste qui les broie.