Le rapport passif à la science, jusqu’à en faire une sorcellerie d’un nouveau genre, est erroné et dévalue la notion de travail, de transformation. Il faut aller dans le sens d’une popularisation des concepts scientifiques, afin de contrecarrer cela.
Il faut noter qu’à côté de l’engouement le plus superficiel pour les sciences existe en réalité la plus grande ignorance des faits et des méthodes scientifiques, qui sont des choses fort difficiles, et qui deviennent toujours plus difficiles par la spécialisation progressive des nouvelles branches de la recherche.
La superstition scientifique comporte des illusions si ridicules et des conceptions si infantiles, que même la superstition religieuse s’en trouve ennoblie.
Le progrès scientifique a fait naître la croyance et l’attente d’un nouveau type de Messie, qui réalisera sur cette terre le pays de cocagne ; les forces de la nature, sans aucune intervention du travail humain, mais par l’opération de mécanismes toujours plus perfectionnés, donneront à la société en abondance tout le nécessaire pour satisfaire ses besoins et vivre dans l’aisance.
Contre cet engouement, dont les dangers sont évidents (la foi superficielle abstraite dans la force thaumaturgique de l’homme conduit ici paradoxalement à stériliser les bases mêmes de cette force et à détruire tout amour du travail concret et nécessaire, pour se livrer à des fantasmes, comme si l’on avait fumé une nouvelle sorte d’opium), il faut combattre avec des moyens variés, dont le plus important devrait être une meilleure connaissance des notions scientifiques essentielles, en vulgarisant la science grâce aux œuvres de savants et de spécialistes sérieux, et non plus de journalistes omniscients et d’autodidactes présomptueux.
En réalité c’est parce qu’on attend trop de la science, qu’on la considère comme une sorcellerie supérieure, et c’est pourquoi on ne réussit pas à évaluer de façon réaliste ce que la science offre de concret.
Antonio Gramsci, Cahier de prison 4 (XIII), §71, 1932-1933