Frédéric Thiriez est l’ancien président de la Ligue de football professionnel (LFP). Sa tribune, initialement publiée dans le Parisien samedi 20 avril, dénonce le bouleversement que causerait la réforme de la Ligue des champions par l’UEFA.
S’il est une figure proche de la Gauche ayant tenté ou prétendu tenter de limiter l’emprise du business dans le football, en étant en parti à l’origine du Fair Play financier, il a pendant son mandat de 2002 à 2016 accompagné le développement du football moderne, avec notamment l’inflation des salaires et des montants des transferts. Les droits TV de la ligue 1 ont triplé durant cette période, pour atteindre plus de 600 millions d’euros.
La fin de son mandat fut marquée par une demande de démission de la part de l’Association française du football amateur suite au refus d’accepter la montée en Ligue 2 du club de Luzenac (Ariège). L’association avait considéré qu’« aujourd’hui, une certaine idée du football, faite de morale, d’éthique et de justice est morte assassinée par ceux qui sont censés défendre ses valeurs. »
Frédéric Thiriez avait par ailleurs signé un appel de personnalités du sport à voter contre Marine le Pen, au deuxième tour de la présidentielle en 2017.
« L’UEFA va tuer la Ligue 1
Un ancien président ne doit pas parler… Telle est la règle que je me suis appliquée depuis que j’ai quitté la présidence de la Ligue de football professionnel. Si je romps ce silence aujourd’hui, c’est parce que les intérêts vitaux de nos championnats sont menacés par un projet de réforme de la Champions League qui, s’il est adopté, ruinera nos championnats nationaux. Pis, l’UEFA, au mépris du modèle sportif européen, veut faire de la prestigieuse coupe une compétition fermée, au seul profit de quelques clubs milliardaires et de leurs actionnaires.
La réforme se traduira par une augmentation insensée du nombre de matchs : on passerait de 96 matchs aujourd’hui à 224 pour la phase de groupes… Comment oser proposer une telle multiplication des rencontres, néfaste pour la santé des joueurs et mortifère pour les compétitions nationales ? Mortifère, oui, car il est strictement impossible dans le calendrier actuel de trouver les huit dates supplémentaires qu’exige la réforme. Sauf à supprimer une des deux coupes nationales ou à réduire la Ligue 1 à 18, ce que nos clubs n’accepteront pas, comme l’a bien dit Noël Le Graët(NDLR : le président de la Fédération française de football). Pourquoi seraient-ce toujours les compétitions nationales qui feraient les frais de la folie inflationniste des fédérations internationales ? L’UEFA, qui veut toujours plus, va au plus simple : pour augmenter les droits, augmentons le nombre de matchs ! Facile : sur le calendrier, la Fifa et l’UEFA se servent les premières ; les fédérations nationales ne peuvent que remplir les pauvres cases restantes.
Il y a plus grave : la réforme changera la nature même de la Champions League, qui deviendra un championnat quasi fermé. Lors de la première saison de la nouvelle formule, les cinq clubs arrivés en tête de leur groupe (il y a 4 groupes de 8), seront qualifiés automatiquement pour la Champions League de la saison suivante. Mieux, le 6e ou le 7e aussi auront une place garantie, une fois départagés par un match de barrage. Voilà donc 24 places préemptées pour la saison d’après, et pour tout dire, ad vitam aeternam pour peu que ces clubs ne finissent pas dernier de leur groupe. Une Ligue des champions fermée aux trois quarts et durablement. Avec un tel système, il est possible que le deuxième du championnat de Ligue 1, voire même le premier, soit exclu de la Champions League. C’est dire que notre championnat perdra tout son intérêt. En début de saison, nos deux ou trois clubs européens n’auront qu’une priorité : finir dans les cinq premiers de leur groupe afin d’être qualifiés encore l’année suivante. Ils délaisseront le championnat, envoyant au besoin une équipe B. Quant à la deuxième partie de saison, elle n’aura pas plus d’intérêt, puisque la « course aux places européennes » sera terminée… Qui s’intéressera alors à la Ligue 1 ? Les diffuseurs certainement pas. Un effondrement des droits télé en France est donc à redouter dès 2024.
Les 32 ligues européennes n’ont d’autre choix que de se battre pour leur survie en tirant à boulets rouges. La Premier League anglaise et la Liga espagnole ont montré le chemin. Souhaitons que la ligue française suive cet exemple. Mais à terme, il faudra bien revoir la gouvernance de l’UEFA, qui ignore superbement les ligues professionnelles, alors qu’elles font vivre les footballs nationaux. L’UEFA comme la Fifa ne peuvent à la fois prendre, comme organes régulateurs, des décisions qui s’imposent à tous et développer sans cesse de nouvelles compétitions qui minent les championnats nationaux sans que les ligues aient leur mot à dire.
Le bon sens voudrait qu’elles soient représentées à hauteur suffisante (un tiers ?) dans les organes décisionnels des fédérations internationales*. Ces dernières ont reçu de nos anciens la noble mission de gouverner le football, d’en fixer les règles et de développer notre sport partout sur la planète. Aujourd’hui, elles semblent dévorées par la « fièvre de l’or ». Le business a pris le pas sur l’intérêt général du football, les bonnes pratiques, l’avenir du jeu, l’aide aux nations défavorisées. La Fifa et l’UEFA se livrent même entre elles à une véritable guerre commerciale (Coupe du monde des clubs versus Champions League). Cette dérive inflationniste fait croître une bulle spéculative qui peut éclater à tout moment. Faut-il attendre l’implosion du système pour revenir à la raison ? »
* L’EPFL, qui représente les intérêts des ligues nationales, a fini par obtenir un siège au comité exécutif de l’UEFA sur 19.