Henri Weber, une figure historique de la Gauche depuis cinquante ans, critique de manière développée l’ouvrage d’Edwy Plenel faisant une sorte d’éloge des gilets jaunes sans dimension critique ni même réellement politique. C’est un bon marqueur.
Edwy Plenel, le responsable de Mediapart (une sorte de presse alternative payante), a publié un ouvrage aux éditions La Découverte (anciennement les Éditions sociales liées au PCF). Il est consacré aux gilets jaunes et est intitulé La victoire des vaincus – À propos des gilets jaunes.
Henri Weber a publié un long article sur le site Slate.fr pour critiquer cet ouvrage, avec une perspective assez intéressante. Henri Weber a été l’une des figures dirigeantes des Jeunesses Communistes Révolutionnaires en 1968, puis de la Ligue Communiste (dont Edwy Plenel faisait également partie). Il a fini par rejoindre le Parti socialiste en 1986.
Henri Weber dit, grosso modo, qu’Edwy Plenel est de mauvaise foi, parce qu’il affirme que les gilets jaunes convergent vers la Gauche. Or, en réalité, souligne Henri Weber, tout est bien plus compliqué que cela. Et c’est de la manipulation intellectuelle que de prétendre le contraire. Voici un long extrait représentatif de la critique faite par Henri Weber :
« Dans son courant principal, assure Plenel, ce mouvement est égalitaire et démocratique. Il s’inscrit dans la lignée des révolutions françaises des siècles passés. C’est une sorte de Mai 68 rampant, dont les forces motrices ne seraient pas les étudiants et les ouvriers d’industrie, mais les perdants de la mondialisation et de la révolution numérique: les classes populaires et moyennes précarisées de la «France périphérique» (…).
Cette interprétation optimiste et unilatérale occulte soigneusement les singularités du mouvement des «gilets jaunes».
La première d’entre elles est le refus farouche de désigner des représentants. Curieux mouvement démocratique que celui qui rejette le principe même de la représentation, sans lequel il n’y a pas d’auto-organisation possible, et menace de mort celles et ceux, issus de ses rangs, qui cherchent à structurer le mouvement et à lui trouver un débouché politique. Sans représentants élus, mandatés, contrôlés, la place est nette pour des chefaillons non élus, incontrôlés, n’ayant de compte à rendre à personne. Il n’existe pas de démocratie sans représentation. Même la démocratie directe la plus radicale, celle des conseils d’ouvriers, de paysans, et de soldats de la révolution russe, était fondée sur l’élection de délégués, à tous les niveaux: depuis l’atelier et le quartier… jusqu’au conseil central des conseils –le Soviet suprême de 1917–, désignant le gouvernement. Le fait que ces délégués étaient révocables à tout moment, ce qui a rendu –soit dit en passant– cette démocratie directe impraticable et éphémère, n’empêche pas qu’ils étaient élus et ré-élus.
En réalité, les «gilets jaunes» ont des leaders de fait: les principaux s’appellent Éric Drouet, Maxime Nicolle, Étienne Chouard, Priscillia Ludosky… Ils ont été choisis par les médias en fonction de leur aptitude à «faire le buzz», mais aussi en raison de l’audience de leur page Facebook sur les réseaux sociaux (…).
N’en déplaise à Plenel, les enquêtes d’opinion et les études sociologiques qui s’accumulent depuis quatre mois montrent que ces composantes populistes de droite et d’extrême droite pèsent d’un bon poids parmi les «gilets jaunes» (…).
La crise des démocraties occidentales a malheureusement des causes beaucoup plus variées et profondes que la nature de leur Constitution, même si en France celle-ci mérite d’être substantiellement réformée.
Edwy Plenel ne décrit pas le mouvement des «gilets jaunes» tel qu’il est, dans sa diversité, mais tel que, selon lui, il devrait être, pour prolonger le sillon creusé par les révolutions françaises. Il idéalise ce mouvement à des fins de prescription politique. Cette idéalisation ne favorise pas, quoiqu’il en pense, la lutte contre les populismes d’extrême droite et d’extrême gauche, qui mènent le mouvement des «gilets jaunes» dans l’impasse, et mettent en péril notre État de droit et notre République. »
La position de Henri Weber est très intéressante, car elle est vraiment socialiste réformiste et ne cède pas au populisme. Il est étrange, évidemment, de le voir parler d’État de droit, alors que n’importe qui en France sait qu’il y de véritables problèmes de démocratie, pour ne pas dire plus. En fait, Henri Weber idéalise l’État pour contrer l’idéalisation des gilets jaunes.
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Cependant, au moins il y a ici une critique de gauche des gilets jaunes, chose très partagée, mais très rarement exprimée. En ce sens, c’est une bonne chose, et une bonne contribution à l’appui d’une identité de gauche, ancrée dans la rationalité et la Politique.