Le programme de la liste conduite par Raphaël Glucksmann pour les élections européennes a été publié ce lundi 6 mai et a été présenté comme « l’embryon de ce qui va reconstituer la Gauche dans les années qui viennent ». On n’y trouvera cependant pas beaucoup de rapport avec la Gauche historique et ses fondamentaux liés aux classes populaires.
Le cœur du projet présenté par Raphaël Glucksmann et soutenu par le Parti socialiste est défini comme « la rencontre du social et de l’écologie », ce qui serait « un projet de rupture » avec « l’idéologie du libre-échange » et « le dogme de l’austérité ».
Il est considéré que les institutions européennes sont indispensables pour cela, afin de lutter contre le réchauffement climatique et régler les questions d’ordre économique et social. L’Union européenne étant cependant « dénaturée par les intérêts privés et les forces de l’argent des lobbies », il faudrait changer radicalement les politiques qu’elle mène.
C’est le sens donné au programme de cette liste « envie d’Europe écologique et sociale », qui s’intitule : « Nos 10 combats écologiques et sociaux pour changer la vie des Européennes et des Européens. »
Les mots « changer la vie » sont une référence évidente aux grandes années du Parti socialiste. C’était le nom de l’hymne du parti adopté en 1977, dans la lignée du Programme commun de gouvernement avec le PCF en 1972, dans lequel figuraient aussi ces mots. La victoire de François Mitterrand en 1981 fut ensuite directement associée à cette idée de « changer la vie ».
On remarquera également une similarité avec les « 110 propositions pour la France » de François Mitterrand en 1981, puisque le programme de la liste européenne est constitué de 119 propositions.
Ces propositions visent donc à séduire les gens de gauche, d’autant plus qu’il y est aussi parlé de justice sociale, d’imposition des grandes entreprises ou encore de droits des travailleurs. Ces derniers sont cependant considérés comme relevant des droits humains en général, et pas d’une question centrale. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un programme écrit en priorité pour les classes populaires, sans même parler de la classe ouvrière, ce qui est pourtant l’ADN de la Gauche historiquement.
Lors de la présentation du programme, il a clairement été question de s’adresser aux « orphelins de la Gauche », avec dans l’idée de préparer l’après, l’indispensable reconstruction à venir. La liste est donc présentée comme une liste d’unité, mais le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a eu la drôle d’idée d’affirmer qu’elle est la seule « à promouvoir l’Europe, le social, l’écologie ».
Cela est faux bien entendu, puisqu’il y a au moins les listes dirigées par Benoit Hamon et Ian Brossat qui disent exactement la même chose à ce sujet. On peut même considérer qu’une partie importante des personnes potentiellement convaincues par ce discours européen, social et écologiste choisiront plutôt la liste des Verts menée par Yannick Jadot, voir même celle de la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron, qui ne disent pas forcément grand-chose de différent.
Il faut ajouter ici une remarque très importante sur le fond, à propos de ce programme. Il est fait à travers ces 119 propositions comme s’il s’agissait d’un programme de gouvernement, qui pourrait être appliqué.
Cela n’est pas vrai du tout, pour deux raisons essentielles. Il y a d’abord le fait que l’élection est européenne, donc la France n’élit qu’une petite partie ( 79 ) des 750 députés européens. Le travail parlementaire s’effectue ensuite en groupes, constitués obligatoirement de députés de plusieurs pays : il faut donc raisonner par rapport à un groupe parlementaire européen, ce que ce programme ne fait pas du tout, et ce dont il ne parle pas du tout.
L’autre point important est que les députés européens n’ont pas l’initiative législative, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent rien proposer. Leur rôle n’est que d’approuver ou rejeter les propositions législatives, ou alors de les amender, mais c’est là un processus très complexe nécessitant une multitude de compromis et d’alliances électorales.
Il est donc entièrement mensonger de dire « nous ferons ceci, nous ferons cela » si nous sommes élus comme cela est écrit dans ce programme de la liste « envie d’Europe écologique et sociale ». Même si elle raflait l’ensemble des 79 sièges qui lui sont accessibles, elle ne pourrait pas faire ce qu’elle prétend, par définition.
On ne peut pas dire ici que ce n’est qu’une question de forme et que la liste présente des orientations générales, ce qu’elle pourrait voter ou non lors des sessions parlementaires. Les 119 propositions de son programme sont très précises, et formulées pour la plupart de manière affirmative.
En voici quelques-unes :
11. […] Nous favoriserons en particulier le retour de la nature en ville,
d’espaces verts dans les zones carencées, et la restauration écologique des rivières et des espaces bétonnés superflus. […]13. Nous sortirons les dépenses liées à la transition écologique du calcul des « 3 % » de déficit public.
52. Nous interdirons les emballages plastiques et polystyrènes sur tout le territoire de l’Union européenne d’ici 2025.
56. Nous renforcerons les pouvoirs du Parlement face au Conseil et à la
Commission, en lui donnant un réel pouvoir législatif et en élargissant le champ de la codécision avec le Conseil à des domaines comme le budget, la fiscalité et la protection sociale.69. Nous ferons de l’Europe un leader dans la défense des droits des personnes LGBTI+. […]
72. Nous mettrons fin au règlement de Dublin qui renvoie les demandeurs d’asile vers les pays de première entrée qui se retrouvent seuls en Europe à assurer le premier accueil. […]
77. Nous créerons une garantie européenne pour l’enfance, visant à assurer à tout enfant vivant sur le sol de l’Union européenne un accès à un logement, un système de garde, une éducation, une alimentation et aux soins de santé.
79. Nous mettrons en place un « Erasmus pour tous » qui permettra à chaque jeune européen de 16 à 25 ans de bénéficier d’une bourse à la mobilité allant jusqu’à 5 000 euros pour mener un projet éducatif, professionnel ou associatif dans un autre pays européen que le sien. […]
Notons également que, de manière très étrange, certaines propositions ne sont pas affirmatives, mais formulées comme des propositions justement :
14. Nous proposerons de taxer le kérosène sur tous les vols intra-européens.
54. Nous défendrons une reconnaissance internationale de l’écocide en tant que crime contre la nature et la biodiversité.
113. Nous plaiderons pour une Union européenne mieux représentée au Conseil de sécurité des Nations unies, avec un soutien clair à l’obtention d’un siège de membre permanent pour l’Allemagne, en plus du siège de la France.
Cela est encore plus faux ! Les députés européens ne peuvent rien proposer, cela n’a aucun sens d’écrire cela dans un programme pour les Européennes. Tout cela consiste donc surtout en un catalogue de mesures « idéales », pour prétendre avoir une identité « européenne », mais sans rapport réel et concret avec ce qu’est en pratique l’Union européenne.
C’est, sur le plan strictement politique, d’une grande faiblesse, et aura de la peine à convaincre. Cela n’a pas grand-chose à voir avec les fondamentaux de la Gauche historique, des grands partis de gauche en Europe qui ont à l’origine porté le point de vue de classe ouvrière et des classes populaires en général, qui ont su élaborer dans les années 1930 des fronts populaires solides contre aux nationalismes – ce dont nous avons à nouveau besoin aujourd’hui.
> Le programme de la liste « envie d’Europe écologique et sociale » : Nos 10 combats écologiques et sociaux pour changer la vie des Européennes et des Européens.