Le dernier carré des gilets jaunes prolonge les rassemblements hebdomadaires, mais c’est désormais un mouvement autocentré, tournant sur lui-même. Les élections européennes sont désormais trop proches pour que la vacuité politique, auparavant une caractéristique donnant une dynamique populiste, ne soit désormais trop apparente et ne dévalorise totalement l’ensemble.
Le symbole de ce 26e samedi des gilets jaunes, c’est un petit rond-point à Toulouse, dans le centre-ville. Des ballons jaunes y ont été disposés, pour revigorer l’esprit des ronds-points propres aux gilets jaunes à leurs débuts. Après la nostalgie de la France d’il y a 25 ans, les gilets jaunes passent à la nostalgie d’eux-mêmes. Rien d’étonnant : les gilets jaunes ne savent être que nostalgiques. C’est un mouvement par définition opposé à l’avenir. C’est très exactement réactionnaire, et ce depuis le départ.
Et la question est réglée, enfin. Le rassemblement hebdomadaire des gilets jaunes n’a désormais plus aucune signification. Alors que les élections européennes arrivent, la politique reprend ses droits et efface forcément un mouvement à bout se souffle qui n’a reposé que sur l’irrationalisme et la recherche d’un bouc-émissaire étatique à tous les problèmes posés par un capitalisme prenant en tenaille les classes moyennes.
Avec un peu moins de 20 000 personnes, le nombre de manifestants est le plus bas de tous les samedis ; un chiffre qu’on est obligé de comparer avec celui de la grande manifestation des fonctionnaires, le jeudi 9 mai : plus de 250 000 personnes. Avec, en prime, dans le cortège parisien de 30 000 personnes, les principaux dirigeants syndicaux faisant bloc : Philippe Martinez (CGT), Laurent Berger (CFDT), Yves Veyrier (FO) et Laurent Escure (Unsa). Le syndicalisme rattrape l’espace perdu et réoccupe le terrain de la contestation classique (et répétitive, et bornée, et lancinante, et sans envergure, et sans aucun lien avec le secteur privé).
Ce qu’ont totalement raté les gilets jaunes, c’est la formation d’un espace populaire autonome par rapport aux institutions, avec des revendications par en bas. Et s’ils l’ont raté, c’est qu’ils ne l’ont jamais voulu, n’ayant jamais été autre chose qu’une expression de la crise des classes moyennes. Ce tremblement de terre d’une partie de la France « périphérique » va d’ailleurs avoir un strict équivalent pour les élections européennes. L’abstention dans un esprit apolitique et le succès de la démagogie de l’extrême-droite sont déjà les prochains vainqueurs.
Pour ce 26e samedi, les gilets jaunes avaient pourtant cherché à mobiliser en deux endroits principalement, Lyon et Nantes. Las, à chaque fois environ 2 000 personnes seulement sont venus, et les inévitables heurts avec les forces de l’ordre, surtout à Nantes, ne relèvent que d’un folklore auquel la population ne fait même plus attention.
Il y a eu également un millier de personnes à Paris, quelques centaines de personnes à Caen, Bordeaux, Marseille, Montpellier, La Roche-sur-Yon, Montluçon… Ainsi que quelques ronds-points occupés comme à Chateau-Thierry et Castelnau-de-Médoc.
Cela pourra-t-il seulement se maintenir d’ici les élections ? Peut-être, mais ce ne sera qu’une anecdote, quelque chose de tout à fait à la marge de la société, et ce de manière assumée. Avant les élections, personne ne peut prétendre vouloir changer les choses et en même temps se débarrasser de la politique. En cela, les gilets jaunes montrent qu’ils ont toujours été le fer de lance du refus de la Gauche (et cela tant de la Gauche qui se présente aux élections que celle, plus radicale, qui ne le fait pas). Les gilets jaunes n’ont jamais été qu’une révolte contre la révolte, l’espoir de retourner en arrières, à peu de frais, juste à la force de la volonté.