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Vienne et le « grand remplacement »

Pratiquement la moitié de la ville autrichienne de Vienne est composée d’étrangers, le reste étant souvent également issue de l’immigration. Mais celle-ci est historique et s’appuie sur des ressorts déterminés par la situation politique et géographique. Même ce « grand remplacement », d’ampleur énorme, n’a pas été « décidé » : il est une simple conséquence des aléas de l’histoire.

La thèse du « grand remplacement » venue de la Droite identitaire a fini par acquérir un certaine notoriété, ce qui intellectuellement est très étonnant. On a même le droit à une liste électorale sur ce thème pour les élections européennes (La ligne claire), menée par Renaud Camus lui-même.

Faut-il en effet qu’on soit coupé de toute regard réaliste, matérialiste, concret, appelons cela comme on le voudra, pour ne plus être capable d’analyser les phénomènes propres au capitalisme et à l’immigration ?

Il est vrai que de part et d’autres, les leviers sont puissants. La thèse du « grand remplacement » fait appel à la théorie du complot, et cela fascine aisément. De l’autre, la négation des réalités économiques, sociales et culturelles de l’immigration est un leitmotiv du libéralisme. On ne touche pas à ce qui est bon pour le business.

Aussi, rien de tel que de porter un regard sur une ville européenne où le « grand remplacement » est un fait, pour des raisons historiques. On veut savoir si le « grand remplacement » existe ou pas ? Jetons un œil sur la ville de Vienne aujourd’hui et qu’y voit-on ? Que plus de 40 % des habitants sont d’origine étrangères. Que la majorité des lycéens parlent une langue autre que l’allemand à la maison.

La ville donne même des statistiques pour chaque arrondissement. Cela donne par exemple 36,5 % pour le premier arrondissement, le plus chic (avec donc une immigration russe et fortunée notamment). Mais encore 47,8 % pour le 10e arrondissement, 50,1 % pour le 20e arrondissement, 42,2 % pour le 4e arrondissement, 28,7 % pour le 13e arrondissement.

Comme il n’y a pas la double nationalité en Autriche, ces gens d’origine étrangère ne peuvent souvent pas voter ; leur niveau éducatif étant bas et le système administratif-juridique très tortueux, ils présentent des possibilités importantes d’emplois à bas salaires. Ils vivent également parfois de manière ouvertement ghettoisée, ainsi avec des zones turques ou serbe où l’entre-soi est total.

Autant dire que c’est le jackpot pour le capitalisme. Quelle continuité politique peut-il y avoir dans une ville où la moitié de gens vient d’arriver, à une génération près ? Cependant, Renaud Camus aurait tort ici de voir un exemple de « grand remplacement » tel qu’il l’entend. Car Vienne a toujours été ainsi. L’immigration a toujours été massive et bien souvent les gens qui votent pour l’extrême-droite, voire même les responsables de l’extrême-droite (comme son dirigeant Strache), ont des noms slaves, notamment tchèques.

C’est que la ville de Vienne était en effet à la base la capitale de l’Autriche, puis de l’Autriche-Hongrie. Là était centralisée la richesse, les entreprises pour la partie directement autrichienne (le reste étant dans la partie tchèque, notamment Brno, la Manchester morave). Les gens affluaient, dans le cadre de l’exode rural. Pour survivre, il fallait arriver à Vienne.

L’antisémitisme effroyable de cette ville avant 1914 vient notamment de l’arrivée de pauvres hères juifs des zones totalement arriérées de Galicie, sous domination autrichienne (et non hongroise). Cela a provoqué un choc culturel et les démagogues se sont rués sur la question.

Au début du 20e siècle, deux millions de personnes s’entassaient donc dans cette ville, dans des conditions d’hygiène effroyables, bien pire encore que dans les autres pays développés de l’époque. Une fois l’empire disparu, avec ses institutions, la ville a perdu une partie très importante de ses habitants ; à l’horizon 2029, elle reviendra à ce chiffre de deux millions. Mais elle a donc été traversée par l’immigration, car elle a été un carrefour.

Il en va de même pour Paris, capitale d’un pays qui a été un empire. Nul machiavélisme à cela, et les grands capitalistes ne sont pas des marionnettistes ordonnant au personnel politique d’enclencher tel ou tel levier. Ils ne peuvent que suivre des tendances se déroulant malgré eux, en fonction des opportunités. Ce sont les intérêts qui prédominent.

On peut bien entendu regretter tout ce chaos, cette absence de planification, cette communautarisation, cette destruction des traditions propres à une ville. Mais s’imaginer qu’il y aurait une « cause » est une abstraction intellectuelle, car les choses se transforment et le capitalisme transforment les choses selon ses besoins, voilà le problème.

Si Renaud Camus n’était pas un idéaliste cherchant une « cause », il dirait : quelle est la nature du phénomène, sur quoi repose-t-il ? De quoi découle-t-il, de quelles tendances de fond, propre à une réalité économique ? Au lieu de cela, il fait un fétiche du phénomène de l’immigration et imagine un complot, comme si le capitalisme pouvait « penser » et qu’on pouvait séparer l’immigration de toute la réalité historique. Mais une multitude d’entrepreneurs ne pensent pas en commun ! Ils agissent de manière chaotique selon leurs intérêts particuliers.

L’immigration est une simple conséquence du chaos qui règne dans le monde. La division entre employeurs et salariés obligent des millions de personnes à se déplacer loin, à tout abandonner, à s’insérer dans des dispositifs économiques précis. Ils croient choisir, mais ils ne choisissent rien du tout. Personne ne choisit rien. C’est l’Histoire qui décide, et en ce moment, c’est le capitalisme qui fait l’Histoire.

Si Renaud Camus veut maintenir la culture, la civilisation, comme il le prétend, alors qu’il assume l’Histoire et qu’il cherche à la transformer, au lieu d’idéaliser l’Histoire du passé et de penser qu’elle va réapparaître simplement en le « décidant » par en haut.

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