La « nouvelle Gauche » qui s’est développée à partir des universités américaines a largement contribué au démanchement de la Gauche historique française. Posant des questions parfois pertinentes, ses réponses sont systématiquement la « déconstruction » et l’ultra-individualisme comme lecture du monde.
La société de consommation implique que tant qu’on n’a pas choisi, on est indépendant du reste. On choisit ce qu’on achète et ce qu’on n’achète pas, on choisit pour qui travaille et pour qui on ne travaille pas, avec qui on partage des éléments de sa vie ou pas, et tout est fixé par un contrat. La « nouvelle gauche » est le produit de cette société de consommation, dont elle a assimilé l’existence de bout en bout.
Elle raisonne ici en termes d’individus et prône l’élargissement maximal des possibilités pour l’individu de s’affirmer. Tout ce qui empêche cela doit être déconstruit. Pour la « nouvelle gauche », il n’y a donc plus de pays et de liens de l’individu avec lui, il n’y a plus non plus de données biologiques, comme le fait d’être homme ou femme, qui amèneraient l’individu à être par nature comme ci ou comme cela.
Il n’y a pas non plus de classes sociales. Il y a seulement des individus pauvres et des individus riches, les premiers connaissant des « injustices » en tant qu’individus. La société entière serait même traversée de préjugés, d’idées qui façonneraient les rapports sociaux. C’est le contraire du marxisme, pour qui les rapports sociaux donnent naissance aux idées, qu’elles reflètent.
Pour la « nouvelle gauche », farouchement opposé à tout déterminisme, il ne peut exister que des individus avec parfois des influences, mais jamais totalement décisives. C’est le libre-arbitre qui serait la substance de chaque individu, qui serait en mesure de choisir ce qu’il veut, comme il veut, d’avoir la capacité d’utiliser sa conscience en dominant tous les aspects de la réalité. L’individu serait tout-puissant.
Toute observation extérieure, toute remarque concernant un individu, serait un « truc de facho ». Chaque individu serait une micro-société, voire un micro-univers. Personne ne pourrait ni évaluer, ni juger un autre individu pour ses choix, qui seraient uniques. Chacun fabrique sa vie indépendamment des autres, ou au moyen de rapports bien choisis. Comme l’a dit Sarte, chacun consisterait en ses « choix ».
Le capitalisme propose justement les choix, mais cela la « nouvelle gauche » ne le voit pas. Elle ne peut plus le voir, car elle rejette les notions d’histoire, d’industrie, le pays comme cadre politique. Elle vit dans une « modernité » ayant dépassé tout cela, et même dans une « post-modernité ». L’impressionnisme avait déjà affirmé la modernité subjective contre le réalisme, la « nouvelle gauche » est elle même partisane de l’abstraction, de l’art contemporain, de la subjectivité la plus totale.
L’individu serait donc au-dessus de tout, car le monde ne consisterait qu’en ses choix. Chacun serait un micro-monde façonné par ses choix : tel est l’idéal de la « nouvelle gauche », qui voit là un monde parfait. Pour elle, la société doit accorder le plus de droits et de possibilités à l’individu, pour qu’il vive de manière totalement indépendante.
Ce qui est faisable est donc possiblement à faire. Il n’y a plus de normes, tout est possible, surtout ce qui permet de s’affirmer individuellement, de « développer » son individualité, tel se prostituer, acheter des enfants à une mère porteuse, avorter à n’importe quel comment, « changer » de sexe, élever son enfant de manière « neutre » quant à son « genre », « aimer » plusieurs personnes en même temps, avoir des rapports sexuels avec autant de gens qu’on veut (y compris en même temps), prendre n’importe quelle drogue, etc.
L’individu n’est pas au-dessus des responsabilités, mais seules les responsabilités qu’il a choisies auraient un sens. Le reste serait une « construction », une « structure » oppressive pour l’individu. On retrouve ici la philosophie structuraliste née en France, qui exportée aux États-Unis a amené l’émergence de la philosophie de la « déconstruction ».
En France, c’est l’université de Paris 8 qui a alors servi de laboratoire à tout cela, puis de caisse de résonance. Elle a été fondé après mai 1968 à Vincennes en banlieue parisienne, pour rassembler les professeurs et les élèves correspondant aux exigences libérales-libertaires du moment. On y trouve notamment Michel Foucault et Gilles Deleuze, l’un « structuraliste », l’autre exprimant une ligne « désirante ». Après l’exportation des idées dans les universités américaines, Paris 8 a récupéré les idées pour les diffuser dans notre pays.
Cependant, c’est toute la couche sociale des étudiants de gauche, notamment en sciences humaines, qui a adopté la ligne de la « nouvelle Gauche ». Souvent leurs parents ont capitulé par rapport à leur engagement à Gauche, tout en gardant des espoirs, et la nouvelle génération a trouvé un nouveau terrain, plus conforme à leur mode de vie propre à la petite-bourgeoisie, résolument étrangère au peuple.
Il y a vraiment un parallèle strict entre la contamination de toute la Gauche par cette « nouvelle Gauche » et le triomphe du Front National dans les classes populaires lors des années 2000 ! C’est qu’aucun ouvrier, et encore moins un jeune ouvrier, ne peut ne serait-ce que saisir les thèses de la nouvelle gauche. C’est trop irrationnel, cela reflète trop un style de vie décadent propre aux villes d’une certaine taille, caractéristique d’une certaine oisiveté propre justement aux étudiants en sciences humaines.
Qui dans le peuple, de toutes façons, pourrait soutenir une « nouvelle Gauche » hostile à tout principe ? Quel ouvrier, quelle femme du peuple, quel employé pourrait dire : oui, supprimons tous les principes, faisons ce qu’on veut comme on veut ? C’est là simplement un rêve de bourgeois moderne, qui plein d’aisances, a envie d’être encore plus à l’aise, et de résumer sa vie à ses propres choix, dans la négation de toute collectivité, de toute société, de tout engagement, de tout devoir.