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Tribune de Jean-Christophe Cambadélis : « Il faut construire, bâtir et élaborer un cycle nouveau. »

Dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche, Jean-Christophe Cambadélis appelle la Gauche à se reconstruire dans un nouveau cycle.

S’il peut être considéré comme une figure usée représentant un certain passé ayant échoué, Jean-Christophe Cambadélis compte néanmoins parmi les figures importantes d’une Gauche ayant réussi à conquérir tous les pouvoirs en France et ce à plusieurs reprises.

D’ailleurs, il ne considère pas lui-même avoir échoué, car la mission de la Gauche consisterait simplement à « dompter » le capitalisme, pour y introduire « une part de justice, d’égalité et d’humanité ».

Pour lui, la Gauche est quelque-chose de très large, de très sociétale et il considère qu’elle représente encore beaucoup de choses et de gens en France. Cependant, il admet cette évidence que tous les compteurs doivent être maintenant remis à zéro entre les forces, entre les courants. « Tout est pardonné », dit-il avant de conclure qu’« il faut que l’on se parle ! »

Le Rassemblement national de Marine Le Pen représentant une menace très sérieuse, il s’agit donc selon lui de ne pas jouer avec le feu au risque de tout perdre.

Voici sa tribune :

« Il manque de tout à gauche : d’union, de stratégie d’ensemble et de nouveaux concepts. Surtout de bienveillance et d’humilité. La gauche est un « no man’s land » où les ambitions ne manquent pas, où l’inimitié est partout et la dynamique nulle part. La gauche n’est pas pour autant détruite. Cumulée électoralement, elle avoisine les 30%. Socialement, elle est sans équivalent. Au niveau local, la gauche municipale est un réseau solide et structurant.

Culturellement, même si elle a beaucoup perdu, elle produit, crée et agit partout sur le territoire. Intellectuellement, même si sa domination sans partage est entamée par le libéralisme, elle reste bien vivante. Et malgré le nomadisme électoral, un Français sur deux se dit de gauche.
La gauche est divisée, atomisée, percluse de querelles de chefs, ce qui la rend sans ressort pour la conquête du pouvoir. Alors que ceci serait ô combien nécessaire à la France d’aujourd’hui.

Évidemment, les écologistes peuvent critiquer l’absence de radicalité dans la transition écologique. Mais c’est par la gauche qu’ils ont pu peser, obtenir des ministres, une présidente de région, voire un groupe parlementaire. Ils ont participé à un gouvernement qui a imposé un accord mondial historique sur le climat. Et combien de collectivités locales où les écologistes travaillent au quotidien avec toute la gauche… Jamais ceci n’aurait été possible en incarnant un « ni droite ni gauche ».

Chacun le sait, l’écologie est avec le numérique la question de notre temps. Mais l’écologie ne règle pas la nouvelle question sociale, tellement prégnante dans le capitalisme immatériel. Et celle-ci ne règle pas la question écologique. Alors un courant écologiste durable ne peut être dans un seul parti. Et un parti de gauche sans l’écologie est un couteau sans lame. La gauche et les écologistes sont condamnés à s’entendre. Comme le dit avec raison son secrétaire national David Cormand : « Il faut faire 50% pour gagner une élection. Et même dans mes rêves les plus fous, je ne vois pas les écolos les faire seuls ».

A gauche les fractures sont nombreuses. Une partie reproche à l’autre de l’avoir entravée dans son action et cette dernière reproche à la première d’avoir dévoyé son projet. Chacune porte une part de l’échec. Car les leaders de l’une ont gouverné avec l’autre. Et celle qui ne gouvernait pas n’a pas réussi à proposer une alternative majoritaire. Elles ont été irréconciliables. L’une a fait perdre l’autre, qui lui a bien rendu. La gauche réformiste s’est effondrée dans la présidentielle. Et la gauche radicale est revenue à son étiage aux européennes.

Il est possible de faire de ces revers un bien. Personne ne peut dire : « la gauche, c’est moi ». Il y a une fenêtre pour l’union. Aux municipales d’abord. Il n’est pas compréhensible que, ayant gouverné, travaillé, espéré ensemble dans les collectivités locales, nous partions en ordre dispersé. La compétition est utile à condition qu’une unité soit au rendez-vous.

Si nous en restons là, les écologistes d’un côté, la gauche de gouvernement de l’autre, la gauche radicale, la gauche républicaine, la gauche européenne, la gauche mouvementiste, et pour finir, dans chaque famille, les divisions d’hier et les ambitions d’aujourd’hui, alors la gauche s’abîmera et trônera sur les étagères de l’Histoire.

L’enjeu, c’est la nouvelle France. Qui ne voit pas que seule la gauche est en capacité de construire une transition social-écologique au nouveau capitalisme numérique immatériel?

Les gauches ont forgé leur réflexion et déployé leur action dans le capitalisme industriel. Elles ont introduit une part de justice, d’égalité et d’humanité dans ce capitalisme. C’est tout l’enjeu du nouveau combat pour domestiquer écologiquement et socialement le capitalisme immatériel. C’est la nouvelle frontière de la gauche, les querelles de l’ancien monde n’ont plus leur place dans celui qui vient.

Ces nouveaux combats sont propres à fonder une nouvelle unité et un nouveau progressisme. L’un ne va pas sans l’autre.
Il y a une autre raison de surmonter nos querelles d’un autre temps. L’urgence de la situation politique. Qui ne voit pas qu’Emmanuel Macron est devenu un rempart de papier face à Marine Le Pen? Rejeté par près de 70% du pays, il est détesté à gauche et à droite. La dédiabolisation des frontistes du Rassemblement national, combinée à la détestation maximale d’Emmanuel Macron, crée les conditions d’un tournant obscur dans un pays agité par les amertumes de toutes sortes.

L’effondrement du clivage gauche droite a libéré les populismes et donné une nouvelle force au national-populisme, incarné par la famille Le Pen. Dans un pays où la crise du résultat produit un profond « du pareil au même », le maintien de Macron par le rejet des extrêmes n’est jouable que si le consensus est grand autour de ce dernier. Ce qui, à l’évidence, n’est pas le cas.

La droite n’est pas en état de faire barrage comme chacun peut le constater. Et si la gauche est divisée en chapelles hostiles, alors le terrain est dégagé pour le lepénisme et ses 11 millions d’électeurs au second tour de la présidentielle.  Face à une France politique en décomposition, la force relative mais compacte du lepénisme permet d’envisager le pire.

On se rassurera à bon compte aux municipales, régionales, départementales, mais la machine infernale est en place. Et ce n’est pas l’accélération libérale et la stratégie du débauchage, enrôlant les malgré nous du macronisme, qui va changer la donne.

Alors, chers amis, où que vous soyez, quels que furent vos engagements d’hier, tout est pardonné. Tout doit être surmonté, avec bienveillance, humilité et imagination. Il faut construire, bâtir et élaborer un cycle nouveau.
Cela ne passera pas par un seul parti, encore moins par une seule personnalité, mais par un nouveau « tous ensemble ».

Il faut que l’on se parle! Réconcilions-nous. »