Depuis quelques années, l’interprétation totalement dominante de la Première Guerre mondiale est que celle-ci a été mal gérée, mais était un mal nécessaire et de toute façon relevant du passé. Toute la dénonciation anti-guerre de la Gauche se retrouve totalement marginalisée.
À la fin de la Première Guerre mondiale, la base de la Gauche s’est soulevée dans de très nombreux pays contre une direction politique qui a soutenu la guerre. Cela a produit les partis communistes, mais également des partis socialistes renouvelés. Il était évident à tout le peuple que cette guerre, c’était la guerre des banquiers et des marchands de canon.
Normalement, dans notre pays, cela se sait. Sauf que ce n’est désormais plus le cas. Il y a, en raison de la participation d’une très large partie de la Gauche au gouvernement pendant des décennies, en raison de la perte des fondamentaux, une capitulation complète devant l’interprétation militariste de la Première Guerre mondiale.
Cela aurait été un coup des Allemands, ainsi que des Autrichiens et des Russes qui de toute façon étaient monarchistes et réactionnaires. La République française n’aurait pas voulu la guerre, les généraux auraient parfois mal géré, mais c’est du passé et, de toute façon, on a gagné et récupéré l’Alsace et la Lorraine.
C’est une catastrophe, surtout alors que de nouveaux conflits se pointent à l’horizon. L’idée d’une France non militariste prédomine dans notre pays, alors qu’en réalité les agressions extérieures sont extrêmement nombreuses, sans parler du colonialisme modernisé dans une large partie de l’Afrique.
Toute une leçon historique, payée dramatiquement avec le prix du sang de millions de personnes, a été littéralement perdue. Cet immense acquis de l’expérience populaire – les dominants sont prêts à aller à la guerre en mobilisant sur la base de la démagogie chauvine – a disparu. Comment va-t-on faire dans le futur ?
Car un tel poison, lorsqu’il est actif au plus profond d’un pays, se maintient durablement. Ainsi, en 1945, la totalité des masses allemandes, à très peu d’exceptions près, considère que la guerre a été perdue, que leur pays a été envahi. Le fanatisme nationaliste, militariste, est allé jusque-là.
Pour cette raison, il est probable qu’il n’est plus possible de récupérer le terrain perdu. Les cérémonies pour les cent ans de 1918 ont d’ailleurs définitivement asséché toute critique. L’État est allé jusqu’à réhabiliter des fusillés, pour vraiment détruire toute possibilité d’espace critique.
Vue la faiblesse de la Gauche, aucune campagne au sujet de la Première Guerre mondiale n’est de toute façon possibles ; elle apparaîtrait de toute façon comme totalement décalée. Ce qui signifie qu’un terrain a été perdu, qu’une position a été perdue dans la société. Et ce n’était pas n’importe quelle position.
Car à quoi va ressembler la guerre de l’avenir ? Beaucoup de gens se voilent la face en pensant que, de toute façon, une guerre ne pourra plus jamais se fonder sur une mobilisation totale. La guerre serait devenue une affaire de professionnels, de spécialistes combattant qui plus est sur des territoires extérieurs.
C’est là une erreur terrible, due à une soumission complète aux mensonges du capitalisme qui prétend amener la paix internationale. Car oui le capitalisme, par ses échanges, amène la paix internationale. Mais en même temps il amène la guerre internationale.
Les énormes échanges nationaux entre pays à la veille de 1914 n’ont pas empêché la déflagration ; ils ont même accompagné le processus y amenant. Car le capitalisme, c’est plus de capital, tout le temps, et il faut bien qu’il se place quelque part. S’il n’y a plus de place, il faut forcer le passage. Cela signifie la guerre.
Et une guerre, cela implique le contrôle, l’assimilation territoriale. Cela implique une mobilisation de masse, des efforts de grande envergure à l’échelle du pays. On peut être certain du traumatisme immense qui va naître dans le peuple français avec toute cette question de la guerre.