Les actuelles tensions « indo-pak » s’approfondissent de jour en jour et l’état d’urgence au Cachemire mis en place du jour au lendemain témoigne de leur gravité. Le statut autonome du Cachemire va ni plus ni moins que disparaître au profit d’une intégration complète dans l’Union indienne.
L’affrontement militaire indo-pakistanais, inéluctable, représente l’un des aspects de la guerre sino-américaine à venir. Tant l’Inde que le Pakistan, pays munis de l’arme atomique, ont focalisé leur identité et leur armée l’un contre l’autre et tous deux sont appuyés par la Chine et les États-Unis, qui en font de puissants pions dans la bataille pour l’hégémonie mondiale.
Du jour au lendemain, l’Inde a annulé le statut particulier du Cachemire, qui en tant qu’État du Jammu et Cachemire disposait d’une vaste autonomie garantie par l’article 370 de la constitution de l’Union Indienne. C’est le ministre de l’intérieur de l’Union indienne, Amit Shah, qui l’a annoncé lundi 5 août 2019, expliquant qu’un décret présidentiel avait été pris en ce sens.
Immédiatement, des centaines de représentants politiques ont été confinés chez eux, tandis qu’ont été arrêtés des activistes, des intellectuels et des figures économiques locales. Les réseaux téléphoniques, fixes comme mobiles, ont été coupés, ainsi bien entendu qu’internet. Cela est valable même pour les hôpitaux.
La ville principale, Srinagar, est totalement occupée militairement, avec checkpoints et barbelés, ce qui n’a pas empêché des révoltes. Aucun journaliste n’a le droit de se déplacer alors que la diffusion de toute presse a été suspendue.
Le jeudi 8 août, le premier ministre Narendra Modi expliquait dans un discours à la nation que l’intégration du Cachemire avait comme but son meilleur développement économique, ainsi que la fin du « terrorisme » et de la corruption. Le statut particulier n’apporterait rien de bon et il faudrait permettre la promotion des intouchables et des tribaux comme dans le reste du pays. Il faut saisir ici l’arrière-plan historique de la question.
Lors de leur colonisation des Indes, les Britanniques ont cherché à diviser pour régner. Ils se sont pour cela appuyer sur la large minorité musulmane et une couche intellectuelle indienne musulmane ayant étudiée en Angleterre, qui a poussé à la formation d’un État indépendant. Après 1947, le Pakistan musulman faisait face à l’Inde ayant grosso modo les 2/3 de sa population hindoue, 1/3 musulmane, avec qui plus est des minorités tels que les Jaïns et les Sikhs.
Il est souvent dit que l’Inde est la plus grande démocratie du monde, mais en réalité c’est une société ultra-communautariste. Le droit privé dépend en effet de la religion de la personne. Les communautés sont donc des blocs fermés ne pouvant se rencontrer. L’hindouisme a l’hégémonie et perpétue un système de castes, y compris à travers le développement récent de villes « modernes », parallèlement aux campagnes arriérées et aux mains de grands propriétaires.
Le Pakistan, quant à lui, était divisé en deux, puisque l’actuel Bangladesh lui appartenait. Il a cherché à maintenir cette possession en pratiquant un immense génocide, avec plusieurs millions de personnes massacrés pour avoir affirmé l’identité propre au Bangladesh. Ce dernier est par la suite devenu indépendant.
La question du Cachemire s’est posée dès la partition en 1947. Les Cachemiris ont leur propre identité historique ; l’hindouisme qui s’y était développé avait pris des formes biens particulières, très mystiques, et l’Islam qui a fini par triompher pratiquement entièrement n’effaçait pas des traits nationaux acquis dans la durée. Seulement c’était un royaume dont le souverain était hindouiste et c’est pourquoi l’Inde l’a revendiqué à la partition.
Cela n’a pas empêché évidemment l’Inde de s’approprier des zones à majorité musulmane mais à souverain hindouiste. Et, donc, au caractère romantique nationaliste idéaliste abstrait du Pakistan – dont seul le sionisme israélien est sans doute l’équivalent historique – a répondu un chauvinisme expansionniste hindouiste.
Depuis 1947, l’Inde maintient une domination terroriste sur le Cachemire, dont une partie a été occupée par le Pakistan. La Chine a quant à elle récupéré une partie lui appartenant historiquement, mais elle jette de l’huile sur le feu, soutenant le Pakistan. Ce dernier apporte de son côté un soutien logistique à une guérilla harcelant les forces indiennes.
Officiellement, cette guérilla lutte pour l’indépendance du Cachemire, cependant de plus en plus elle est devenue un bras armé du Pakistan. Un autre bras armé du Pakistan, ce sont les Talibans, d’ethnie pachtoune, dont une importante minorité vit au Pakistan. L’Inde sait que les États-Unis veulent négocier avec les talibans pour un accord en Afghanistan et craint un compromis à ses dépens, d’où l’accélération de sa politique expansionniste au Cachemire.
Cette situation a déjà provoqué des affrontements militaires (trois petites guerres dont deux au sujet du Cachemire) et régulièrement des escarmouches, et même en février dernier une bataille aérienne.
Il faut voir ce qui a changé. Auparavant, comme le Pakistan était appuyé par les États-Unis et que l’Inde était appuyée à la fois par les États-Unis et l’URSS, cela ne débordait pas en guerre ouverte. La pression était cependant idéologiquement puissante, le grand symbole étant la fermeture quotidienne de la frontière sino-pakistanaise. Les soldats marchent de manière ostentatoire dans des tenues pittoresques, sous les acclamations nationalistes des gens des deux côtés de la frontière.
L’effondrement du bloc soviétique et de son agressivité très forte dans la région – comme en témoigne l’invasion de l’Afghanistan – a bouleversé la donne et avec l’affrontement sino-américain, la question « indo-pak » prend une tournure explosive. Le Pakistan est appuyé par la Chine, comme contre-poids face à l’Inde, qui est elle de plus en plus liée aux États-Unis depuis l’effondrement de l’URSS.
En réponse aux événements du Cachemire, le Pakistan a expulsé l’ambassadeur indien et annulé tous les échanges, déjà pratiquement inexistants dans les faits. La Chine a qualifié la décision unilatérale de l’Inde d’inacceptable. On a tous les ingrédients pour un conflit militaire d’ampleur, un strict parallèle avec les Balkans en Europe juste avant 1914.