Gwen Fauchois, notamment ancienne vice-présidente d’Act Up-Paris (dans les années 1990), a publié une tribune dans Libération qui a le mérite d’être claire : il faut supprimer la biologie et n’utiliser que les choix individuels comme critères. Le fait que seuls des hétérosexuels puissent avoir naturellement des enfants relèverait du patriarcat : il faut donc supprimer la reproduction hétérosexuelle. Le capitalisme LGBT tourne en roue libre. C’est la révolte de l’individu contre sa propre nature matérielle qui s’exprime ici. C’est l’idéologie absolue du consommateur absolu.
Il faut avoir le courage de lire la tribune PMA, nature et illusions, publiée dans Libération. Car il faut comprendre l’ampleur du désastre qu’impliquent les anti-valeurs de la modernité capitaliste. Pour en arriver en effet au rejet ouvert de la biologie, c’est qu’il faut tout de même avoir atteint un niveau d’idéalisme plus que très fort ! Et malheureusement, la technologie au service du capitalisme permet la réalisation de tout un nombre de ces fantasmes narcissiques, qui sous prétexte d’aboutir à des droits en plus pour les individus, sapent en réalité les fondements matériels de l’humanité elle-même.
Gwen Fauchois ne fait qu’appliquer la logique consumériste la plus stricte. Chaque consommateur doit avoir les mêmes droits. Le droit à l’enfant devrait donc être un droit universel. Or, la nature repose sur une combinaison homme-femme. Il faut donc supprimer la nature, base de « l’hétéro-patriarcat ».
On est ici dans une démarche nihiliste et non plus simplement dans une « déconstruction ». On est passé de la critique des préjugés au démontage de valeurs, et donc désormais maintenant à la quête fanatique de destruction de la réalité.
Il faut lire cette prose, comprendre sa nature, ce qu’elle reflète : une terrible décadence parmi les couches urbaines et intellectuelles, l’effondrement des normes et des valeurs au sein des couches socialement dominantes elles-mêmes.
« Tribune. Le projet de loi relatif à la bioéthique que vient de présenter le gouvernement devrait mettre fin à l’accès réservé aux seuls couples hétérosexuels aux techniques d’assistance médicale à la procréation. L’abolition de ce privilège aura pour conséquence une obligation de réformer les règles actuelles d’écriture de la filiation.
Dans le projet de loi qui a été transmis à l’Assemblée nationale, le gouvernement propose de créer un dispositif spécifique ne s’appliquant qu’aux couples de femmes qui auront bénéficié de ces techniques et à leurs enfants conçus grâce à elles.
Selon la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, cette spécificité serait justifiée par la nécessité de garantir une vraisemblance biologique dans l’inscription de la filiation. Dès lors, que ses instigateurs reconnaissent que le refus d’universaliser les modalités d’inscription de filiation ne repose que sur un choix idéologique. Car nulle contrainte technique ni juridique n’impose d’introduire un traitement à part qui distinguerait parents et enfants en fonction de l’orientation sexuelle.
Il convient de s’interroger sur les motivations politiques et les effets d’une telle décision, qui se résume à refuser d’universaliser le mode d’établissement de la filiation. Il s’agit ici de réaffirmer dans le sens commun, une prime à l’illusion de naturalité. Cela revient, non pas à admettre les altérités comme autant de possibles à légitimité équivalente, mais plutôt à sauvegarder une hiérarchisation posant en référence le couple cis-hétérosexuel ayant recours à la procréation par relation sexuelle. Ce mode de procréation, seul à bénéficier du droit commun parce qu’il est majoritaire, se voit gratifié d’une dimension quasi-missionnaire : comme un bonus donné au biologique.
En parallèle, la volonté de réinscrire à tout prix un donneur de sperme dans le parcours d’inscription de la filiation qui serait assigné aux seuls couples de femmes agit comme un warning de sur-signalisation d’une absence. On nous explique, là encore, qu’il s’agit de préserver et de rendre visible la vraisemblance biologique. Mais en réalité, cela ne vise qu’à marquer symboliquement et fortement la participation masculine à tout processus reproductif.
Quel est donc ce besoin, si intense, de crier ainsi la présence de sperme dans les constructions de narration, alors qu’on se demande, au vu des technologies existantes, qui pourrait imaginer aujourd’hui – à part à travers une incroyable manifestation de foi dans des fécondations issues du saint-esprit – qu’il n’y ait pas eu dans l’opération altérité de gamètes ? Ce n’est rien d’autre qu’un énième avatar du syncrétisme patriarcal visant à répondre au projet politique de persister à poser le masculin en insécable universel.
Il serait temps de cesser de considérer les systèmes de filiation comme un outil visant à rassurer les hommes hétéros-cis sur leur agentivité et à sédimenter leur pouvoir dans le système social. Un système dans lequel une femme n’est que le vecteur permettant de patrimonialiser symboliquement des enfants. Propriété masculine, à l’échelle individuelle autant que collective.
Cette volonté est d’autant plus évidente que d’un autre côté, on ne touche pas au procédé qui s’applique aux couples hétérosexuels ayant eux aussi recours à la PMA. Pourquoi ? Parce que la vraisemblance de l’accouplement hétérosexuel procréatif est préservée, nous dit-on.
Montrant que ce qui compte le plus, ici, c’est cette vraisemblance du mensonge, plutôt que la réalité de la biologie. Laissant aux enfants de ces couples la liberté de se débrouiller avec les messages contradictoires qui leur sont envoyés : qu’importe qu’un secret recouvre et fasse obstacle à la généalogie biologique dont on leur dit dans le même temps qu’elle devrait être centrale. Rendre visible, privilégier l’apparence, sont deux façons de stigmatiser un écart à la norme.
Chaque avancée d’intégration dans le droit semble devoir toujours s’accompagner de gages donnés pour signifier qu’il ne s’agit surtout pas de transformer une société patriarcale. Et les opportunités de transformation du droit commun, quasi immanquablement, se restreignent à des toilettages de moules préfabriqués dans lesquels des individus sont sommés – même de façon contradictoire – de se glisser et laissent de côté celles et ceux qui ne sont pas au programme de l’avancée du moment.
Alors que la France se targue d’universalisme, quand il s’agit d’étendre l’accès à des droits à des minorités, nous assistons à des festivals conservateurs de valorisation de la distinction et à la multiplication d’inventivité en matière d’usine à gaz et de régimes d’exception.
Tous ne visent au fond qu’à éviter l’universalisation et y substituer des élargissements bornés des conditions de cooptation et d’intégration, au gré des rapports de force réels ou supposés. Re-consacrant dans la loi les logiques inégalitaires, ceux qui nous gouvernent montrent comment ils imaginent le pouvoir.
Avec cet élargissement de l’accès à la PMA, nombre de femmes concrétiseront leurs projets de famille dans des conditions plus sécurisées que par le passé, et leurs enfants n’en seront que mieux protégés. Mais en affirmant que l’accès aux droits des couples ne peut être pour les lesbiennes celui du commun, et en soumettant cet accès à une présence masculine, même symbolique, le gouvernement promeut une réactualisation des hiérarchies hétérosexistes et va autoriser comme d’autres avant lui une vague de réactivation de la lesbophobie ordinaire. Et plus globalement de violences contre les homos, trans et intersexes, et même au-delà par translation à tous ceux qui ne correspondent pas dans l’imaginaire à la figure du dominant.
Pour ma part, je regrette que personne ne souhaite dire clairement que l’enjeu ne devrait pas être seulement de permettre à tel ou telle d’intégrer les règles de filiation, c’est à dire de corriger des inégalités produites politiquement, mais de s’attaquer à transformer nos rapports communs à l’écriture de la généalogie en tant qu’elle est source de production d’une organisation sociale inégalitaire.
Les unes, notamment par crainte qu’à revendiquer des changements radicaux, on en vienne à jeter le bébé avec l’eau du bain, et les autres parce qu’ils veulent éviter à tout prix qu’apparaisse, non pas une invraisemblance biologique, mais le fait que le naturel qui nous est servi ici n’est que le cache-sexe d’une organisation culturelle de l’injustice. »
Il y aurait donc un complot patriarcal : les hommes chercheraient à dominer les femmes en étant biologiquement indispensable ! On est ici en plein fantasme, en réalité, le fantasme du consommateur capitaliste, en quête de la consommation absolue, celle purement individuelle, uniquement individuelle.
Car tout cela n’est que le masque du grand objectif du capitalisme, qui cherche tous les moyens pour se valoriser. Le but, c’est que disparaisse la biologie, l’ultime frontière du capitalisme. C’est le rêve fou produit par un capitalisme en roue libre, forcément en roue libre.