Dans la société capitaliste, on reconnaît la possibilité d’un couple. Mais dans celui-ci, on vit ensemble, on ne grandit pas ensemble. Car pour la mentalité capitaliste, grandir se fait seul, et aux dépens des autres.
Il existe de multiples jeux sur tablette, dont le nom se termine en « .io » comme Hole.io, où l’on bouge une forme (un serpent, un trou noir, une bactérie…) qui s’agrandit au fur et à mesure qu’elle mange des équivalents plus petits. Cela reflète totalement la vision néo-darwiniste de la vie et de la société, où toute évolution est individuelle et se fait aux dépens des autres.
Là où les choses se compliquent particulièrement, c’est dans le couple. Le couple traditionnel urbain ou rurbain en France – il faut ici le distinguer des couples des campagnes, des couples juifs et arabes – consiste tendanciellement en un contrat passé entre deux individus maintenant irréductiblement leur individualité.
Pour cette raison, les conflits sont récurrents et considérés comme une norme ; ils seraient même la preuve de la réussite du couple. Chacun grandit dans son coin et les engueulades si prisées des films français sont une remise en adéquation des deux protagonistes. C’est une sorte de remise en équilibre ; dans le cas où la divergence d’intérêts est trop grande, il y a séparation.
Ce n’est pas romantique, mais c’est considéré comme la seule forme résolument moderne, car chacun est différent et il s’agit d’être pragmatique. Il y a cependant un problème de fond. En quoi consiste en effet la vie partagée ? Et comment concevoir que deux personnes étant ensemble puisse avoir des évolutions totalement séparées ?
Naturellement, dans un couple, une personne grandit plus qu’une autre et il ne s’agit pas d’avoir la même évolution, un couple n’est pas une comptabilité (bien qu’inversement le couple moderne le voit justement comme une excellente comptabilité). Cependant, un couple est une fusion et avant d’être soi-même, on est dans le couple – c’est bien là ce qui est insupportable pour l’individualisme contemporain.
D’où sa remise en cause du couple, les théories sur le polyamour, l’exigence de la PMA pour les femmes seules, etc. Le couple, c’est comme la société, l’individu prétend être au-delà. L’individu contemporain réfute d’être la composante de quoi que ce soit.
Le capitalisme développé est donc en opposition complète, dans le fond, avec la notion même de couple. Lorsque Marlène Schiappa dit qu’il n’y a pas de modèle de famille, elle représente le fer de lance du capitalisme le plus affirmé. Tout doit être un contrat individuel.
Seulement, au-delà des considérations politiques ou économiques, culturelles ou morales, il est évident que cela ne correspond pas à la réalité : on ne grandit jamais aux dépens des autres. On ne grandit qu’avec les autres. La vie progresse par synthèse, pas en arrachant des bouts d’énergie ou de matières premières ici ou là !
Le capitaliste répondra bien sûr ici que la vie c’est la jungle, qu’il suffit de voir les dinosaures qui ont disparu, les requins en action, etc. Sauf que les dinosaures sont devenus en partie les oiseaux et que les requins relèvent d’un écosystème bien particulier : ils ne sont pas « en haut de l’échelle ». L’humanité non plus n’est pas en haut de l’échelle du monde ; elle en est seulement une composante.
L’individualisme contemporain ne veut rien savoir de tout cela, car il pousse à la compétition, la concurrence ; il reflète en cela le capital en lutte contre le capital, dans une bataille pour l’accumulation et la suprématie. Voilà pourquoi il y a tant de divorces : la tendance à amener la compétition au sein même du couple est inévitable pour qui vit en individualiste et ne voit en le couple qu’une sorte de compromis.
Seul le socialisme peut rétablir le couple comme fusion de deux personnes s’aimant et rejeter sa dégradation en association contractuelle fondée sur les sentiments et les intérêts.