Claire Monod et Guillaume Balas, responsables nationaux de Génération-s, expliquent dans une tribune initialement publiée par Le Monde (version payante) que l’écologie doit être la matrice de la reformulation des enjeux sociaux et démocratiques. Ils inscrivent leur démarche dans le cadre de la Gauche et son héritage historique, tout en se revendiquant du philosophe de la décroissance André Gorz.
« Il n’y aura pas d’écologie démocratique et sociale, émancipatrice, sans un point de départ clair
Quel été avons-nous passé ? Sans doute un peu trop chaud. Ou trop orageux, voire beaucoup trop pluvieux, sans parler des incendies. En ces mois de juillet et août 2019, nous entrons dans l’histoire incandescente de l’anthropocène par la grande porte. Face à l’urgence, pouvons-nous poursuivre plus longtemps le bricolage et l’impuissance politique sans nous interroger franchement : comment construire une majorité politique écologiste en France ?
Pendant que la prise de conscience fait fleurir les mobilisations de par le monde, l’inaction exaspère, l’inquiétude et l’exigence s’étendent. Partout « fin du mois et fin du monde » cherchent à faire cause commune. Le mouvement s’enclenche, enfin ! Et quoi ? Nous resterions là, si loin des colères et des attentes, cramponnés à des appareils politiques dépassés, après tant de combats communs ?
L’écologie politique doit maintenant passer un cap essentiel, historique, être choisie pour gouverner.
Après s’être diffusée dans les consciences, éparpillée « façon puzzle », affirmée au sein des forces de gauche, elle est devenue l’objet de réinterprétations en tous sens, voire d’opportunismes. De l’environnementalisme « apolitique » aux réminiscences nationalistes autour de la nature, en passant par le centrisme libéral adepte de la croissance verte, le populisme façon « greenwashing » [blanchiment écologique] et jusqu’aux ennemis des Lumières, le drapeau écologiste est aujourd’hui repris – comme l’avait été celui du socialisme au début du XXe siècle –, par bien des « radicalités » y compris la droite ultra-conservatrice et l’extrême droite.
Il n’y aura donc pas d’écologie démocratique et sociale, émancipatrice, sans un point de départ clair. Une filiation avec les combats républicains puis ouvriers qui ont fait la gauche dans l’histoire et dans le monde, mais aussi une rupture franche avec le productivisme. Il y a nécessité à opérer une nouvelle synthèse, fondant écologie, démocratie et justice sociale dans la même matière vivante.
Cette synthèse s’inscrirait dans le sillage de Jean Jaurès (1859-1914) et, plus près de nous, du philosophe André Gorz (1923-2007). Elle dessinerait un nouvel humanisme écologiste, tourné vers la civilisation post-croissance, le respect de la nature et la reconnaissance de ses droits, une répartition des richesses conjuguant l’égalité sociale et environnementale, la transformation du travail et l’élaboration de nouveaux modes de vie.
L’écologie doit être la matrice de la reformulation des enjeux sociaux et démocratiques, vitaux du siècle pour acter la communauté de destin de l’humain et la planète. Il est temps de pousser la voie de cette nouvelle « évidence », de la rendre accessible, populaire et de l’ancrer dans une histoire politique partagée qui lui permette d’accéder – enfin – à la majorité. Car constituer un socle commun idéologique ne suffira pas à construire la grande force, politique et citoyenne capable d’imposer son agenda aux tenants de l’ancien monde, à sa violence, à l’appétit vorace du néolibéralisme, du productivisme et de la financiarisation, aux lobbys destructeurs. Cela ne suffira pas non plus à faire face au recul continu des droits et des libertés.
Revendiquer l’urgence écologique sans en prendre la mesure politique devient une source supplémentaire d’exaspération. Comment rassembler cette force immense ? Comment être à la hauteur historiquement et politiquement ? Dans le contexte pour le moins instable de ce monde hystérisé où domine le « dégagisme » et dont tous les paramètres s’accélèrent – recul démocratique, perte des droits sociaux, effondrement de la biodiversité, dérèglement climatique… –, l’urgence n’est-elle pas d’engager cette dynamique collective, rassembleuse, en s’inscrivant fièrement dans une histoire politique commune réfutant le sectarisme et les étiquettes a priori ?
Une écologie ambitieuse et volontariste, à la hauteur des défis, ne peut plus se contenter de petits succès et de coups d’éclats de loin en loin. Si l’effondrement devient vraiment un horizon et la résilience un projet, il va sans dire que l’urgence de renforcer le cadre démocratique et le contrat social qui garantissent l’égalité et la justice est aussi forte que celle de transformer le modèle de développement vers la post-croissance.
Car oui, les perspectives de l’écologie portent fondamentalement sur notre capacité à faire société dans l’interdépendance qui régit le vivant. Nous savons que la combinaison de ces priorités constitue un potentiel gigantesque. Nous voulons miser sur l’intelligence collective pour répondre à l’indignation et aux colères qui grondent, en France, notamment face au mépris et aux violences qui voudraient les faire taire.
Au nom de ces urgences climatiques, démocratiques et sociales, et au risque de perdre toute crédibilité, il est temps de trouver ensemble, forces écologistes de gauche, les moyens réels pour construire l’alternative, le poids pour peser, la force et la cohérence pour agir. »