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Les réserves de l’Académie de médecine sur l’extension de la PMA

Alors que le débat sur le projet de loi de bioéthique incluant l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) doit s’ouvrir à l’Assemblée nationale, l’Académie de médecine s’est invitée à la discussion en publiant samedi 21 septembre 2019 un document très critique.

L’Académie de médecine a produit un Rapport sur le Projet de loi relatif à la bioéthique dans lequel elle émet notamment de larges réserves au sujet de la PMA, dénommée AMP (Aide médicale à la procréation, le terme utilisé par les médecins). Il est considéré que « la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure », affirmant même que la disposition du projet de loi est « contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 ».

La ministre de la Santé Agnès Buzyn a réagit en considérant que le propos était « peut-être daté », mais sans argumenter sur le fond. Le gouvernement a en effet tout fait pour éviter un débat de société sur une question pourtant d’une grande importance.

L’Académie de médecine rappelle des choses essentielles, alors que l’ultra-libéralisme veut tout réduire à l’état de marchandise. Voici un long extrait du rapport concernant le Titre I du projet de loi de bioéthique, au sujet donc de la PMA, mais aussi de l’autorisation de l’autoconservation des ovocytes :

« POSITIONS DE L’ACADEMIE NATIONALE DE MEDECINE sur le titre I

1)
Pour l‘ANM [Académie nationale de médecine, NDLR] l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules relève davantage d’une loi sociétale s‘inscrivant dans la suite des lois sur le Pacte civil de solidarité et du Mariage pour tous, que de la loi de bioéthique dans la mesure où les techniques utilisées sont anciennes et ne soulèvent pas de nouvelles questions d’ordre médical. S’agissant, selon elle, d’une mesure à caractère sociétal et au-delà des convictions de chacun, l‘ANM ne s’estime pas à même de donner un avis hors du champ de ses missions. En revanche, elle se sent impliquée et estime de son devoir de soulever un certain nombre de réserves liées à de possibles conséquences médicales.

L’ANM reconnaît la légitimité du désir de maternité chez toute femme quelle que soit sa situation, mais elle veut souligner que si l‘invocation de l’égalité des droits de toute femme devant la procréation est compréhensible, il faut aussi au titre de la même égalité des droits tenir compte du droit de tout enfant à avoir un père et une mère dans la mesure du possible.

Sur ce point, il y a donc une rupture volontaire d’égalité entre les enfants. A ce titre, la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n‘est pas sans risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant.

L’argument régulièrement avancé pour rejeter le risque pour l’enfant se fonde sur certaines évaluations, essentiellement dans quelques pays anglo-saxons et européens, faisant état de l’absence d’impact avéré sur le devenir de l’enfant.

L’ANM ne juge pas très convaincantes ces données au plan méthodologique, en nombre de cas et en durée d’observation sur des enfants n’ayant pas toujours atteint l’âge des questions existentielles. Quoi qu’il en soit, l’ANM rappelle que l’incertitude persiste sur le risque de développement psychologique de ces enfants au regard du besoin souvent exprimé de connaître leurs origines. Cela conduit donc à souhaiter qu’il y ait des études en milieu pédopsychiatrique à partir d’enfants privés de pères, parmi lesquels ceux issus de l’AMP pour des femmes seules ou en couples.

Cela permettra d’évaluer le devenir de ces enfants au nom du principe de précaution si souvent évoqué pour des sujets d’importance moindre. II apparaît, à l’ANM que cette disposition est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France. Celle-ci mentionne le droit de l’enfant à connaître ses parents en insistant sur le «bien de l’enfant » comme sur son «intérêt supérieur». De fait, on quitte le domaine de la vraisemblance puisque deux parents du même sexe ne suffisent pas pour donner vie à un enfant. Il s’agira pour la première fois de permettre à deux femmes d’être les deux mères d’un même enfant. Pourtant, l’existence de deux mots distincts, père et mère, signifie que l’un ne peut se substituer à l’autre car le rôle des mères et des pères ne sont pas équivalents.

L’ANM estime que, de plus en plus malmenée par les évolutions sociétales, la figure du père reste pourtant fondatrice pour la personnalité de l’enfant comme le rappellent des pédopsychiatres, pédiatres et psychologues qui demeurent dans leur majorité pour le moins réservés sur cette innovation radicale. A la différence notoire des situations subies par certaines familles monoparentales, des réserves médicales sont également exprimées sur l’extension de la procréation volontaire aux femmes seules en raison de l’observation d’une vulnérabilité, source d‘anxiété et de fragilité maternelle avec des couples mère/enfant qui peuvent être pathologiques comme cela a été souligné lors des auditions par la commission spéciale à l’Assemblée nationale. Dans tous les cas d’extension de l’AMP, on ne peut méconnaître la question de l’altérité et celle de la différence homme-femme.

2)
Concernant la question de l’anonymat du donneur, l’ANM rappelle que ce choix fait par les CECOS dès le début de l’Insémination artificielle avec sperme de donner (lAD) a été régulièrement rediscuté. On sait, désormais, que le maintien de l’anonymat a suscité chez un certain nombre d’adolescents ou jeunes adultes connaissant leur mode de conception, le besoin de rechercher leur géniteur et leurs origines biologiques.

Cette quête pouvait même devenir obsessionnelle et nuire à leur épanouissement comme à leur équilibre psychologique, ce qu’on ne peut ignorer. En outre, l’accès de plus en plus facile au séquençage de son génome et aux réseaux généalogiques sur internet a déjà permis à certains de retrouver leur géniteur ou des demi-frères ou demi-soeurs. La nécessité de faire évoluer le processus est donc légitime. Les dispositions proposées dans le projet de loi permettant d’accéder à des données non identifiantes sont satisfaisantes et peuvent être utiles sur le plan médical.

Quant à l’accès à l’identité du géniteur lui-même, il sera rendu possible à la condition que celui-ci y consente au moment de la demande d’accès. Un dispositif semblable à celui du Centre National d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) créé en 2002 pour répondre au même besoin exprimé par les enfants nés sous X de mère anonyme, sera organisé pour guider les demandes. L’ANM est favorable à une telle évolution maîtrisée vers l’accès aux origines. Elle observe néanmoins que 75% des candidats au don de sperme sont pour le maintien total de l’anonymat et pourraient revenir sur leur intention initiale en cas de sa levée, même partielle.

Sur ce point, l’ANM veut souligner l’actuel équilibre fragile entre donneurs et couples hétérosexuels infertiles demandeurs d’une IAD, avec un délai moyen d’un à deux ans entre la demande et sa réalisation. II apparaît évident que la demande accrue du fait de l’extension prévue de l’AMP entrainera un déficit de spermes et un allongement des délais portant préjudice aux couples hétérosexuels souffrant d’une infertilité qui relève pourtant d’une indication véritablement médicale.

Dans les faits, il s’agira donc pour ces couples d’une régression dans leur prise en charge et il reviendra aux médecins de l’expliquer aux patients. Les médecins ne comprennent pas qu’on puisse considérer de la même façon les indications médicales et les demandes sociales. Dans de telles conditions où la demande sera supérieure à l’offre, l’ANM exprime sa crainte de voir s‘établir un marché déjà en voie d’organisation dans certains pays voisins.

L‘éventuelle marchandisation des produits du corps humain est donc un réel danger qui menace le principe essentiel de l’éthique française, à savoir la gratuité du don et la non-marchandisation du corps humain. En outre, l‘ANM estime que le financement de ce choix sociétal personnel par l’Assurance-Maladie n‘est pas cohérent avec les missions qui lui sont assignées.

3)

Concernant la filiation qui ne va pas de soi pour deux femmes qui souhaitent être toutes les deux les mères du même enfant, nonobstant les réserves de l’ANM sur l’extension prévue de l’AMP, elle estime que la procédure de filiation retenue semble la plus à même de créer un cadre aussi rassurant que possible pour l’enfant bien que reposant sur des critères non biologiques et en dehors de toute vraisemblance.

4)
Concernant la possibilité pour les femmes de conserver leurs ovocytes en dehors de tout motif médical, sans s’y opposer formellement, l’ANM souligne que si les risques que pourrait entraîner une telle pratique sont bien connus des professionnels, ils ne sont pas mentionnés dans l’exposé des motifs de la loi et n’ont pas été réellement discutés lors des débats préparatoires,ce qui est éminemment regrettable. Ils n’ont donc pas été repris par les medias et les femmes n’ont généralement pas une juste idée de la réalité de l’entreprise. D’une part, le recours à l’autoconservation des ovocytes augmenterait davantage encore la surmédicalisation des grossesses.

D‘autre part, elle pourrait contribuer au recul de l’âge moyen de la première grossesse. Or, on sait l’augmentation significative des Infirmités motrices-cérébrales qui en découlent pour l’enfant. Enfin, la présentation banalisée qui en est faite semble sous-estimer, voire méconnaitre, les risques que la méthode induit par elle-même. Ceux liés aux inductions de l’ovulation, souvent répétées pour obtenir le nombre d’ovocytes nécessaires.

Ceux concernant lesrisques d’échecs non négligeables dont il n’est pratiquement pas fait mention alors que le taux de réussite est estimé à 60% après quatre tentatives et décroit notablement avec l’âge. L‘ANM regrette que, dans les débats,l’information des femmes ne soit pas présentée de façon suffisamment objective et que l’autoconservation de leurs ovocytes puisse apparaître commeune garantie de réussite lorsqu‘elles décideront du moment de leur grossesse. En pareil cas, il s’agirait d’une grave mésinformation que les médecins auront du mal à réparer sans décevoir.

En outre, l’ANM déplore qu’à aucun moment il ne soit fait mention de la nécessaire information sur la fertilité d’une femme et sa décroissance en fonction de l’âge. L‘ANM veut encore souligner que l’extension de l’AMF à toutes les femmes comme celle de l’autoconservation des ovocytes par volonté personnelle correspondent à des demandes sociétales pour des femmes qui ne souffrent d’aucune pathologie de la reproduction.

Il ne s‘agit aucunement d’indications médicales conformes à la mission de la médecine qui est de soigner. Ce changement de nature de l’acte médical n’est pas sans soulever de sérieuses questions de fond pour l’avenir de la pratique médicale. D‘autant qu’auregard d’une aspiration sociétale vers le report banalisé de l’âge de la conception, l’importance d’un avertissement des femmes n’est même pas mentionnée quant aux pertes de chance de fertilité et de risque foetal. L’ANM insiste à nouveau sur l’information nécessaire des femmes sur l’évolution de leur fertilité et souligne qu’il s’agit là d’un enjeu de santé publique majeur. »