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Quelques questions à Martine Segalen, ethnologue opposée à la GPA

L’examen du projet de loi bioéthique, qui inclut l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, a commencé ce mardi 24 septembre à l’Assemblée nationale. Nous avons posé quelques questions à Martine Segalen, spécialiste de la sociologie de la famille, connue pour son engagement féministe contre la GPA et s’interrogeant sur l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de lesbiennes.

Martine Segalen est professeure émérite à l’université de Paris Nanterre et membre du LASCO (Laboratoire d’analyses socio-anthropologiques du contemporain). Elle a dirigé la revue Ethnologie française et a publié plusieurs ouvrages parmi lesquels A qui appartiennent les enfants ?, Eloge du mariage ou Sociologie de la famille (9e edition avec Agnès Martial)

– Pour quelles raisons avez-vous émis des réserves à l’extension de la PMA ?

« Il y a 50 000 raisons, mais ce que j’avais mis en avant et qui me frappait, c’est que l’État fabrique un enfant sans père, ce qui est assez fort du point de vue du droit. Par ailleurs, le grand problème est celui de la dérive vers la technicisation du corps humain, sujet que Sylvianne Agacinski (auteur de L’Homme désincarné [2019], NDLR) a bien traité. Mais, j’ai le sentiment que lutter contre la PMA n’a pas de sens, car on voit bien que c’est un projet politique qui va se faire. Là où vraiment on essaiera de retrousser ses manches, c’est pour l’étape d’après, la GPA. »

– Vous avez affirmé récemment que la procréation est devenue un marché et que cet élargissement de la PMA pourrait être utilisé pour demander l’accès à la GPA au nom de l’égalité. Vous voyez un lien direct entre PMA et GPA ?

« En effet, il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas s’en rendre compte avec les matraquages médiatiques récents, qui nous expliquent toujours que la GPA c’est merveilleux et qu’on fait ça dans les meilleures conditions et que les enfants sont très heureux. D’ailleurs le bonheur des enfants n’est pas en question, c’est quand-même leur mode de production qui pose question. »

– Pensez-vous que l’extension de la PMA va bouleverser les modèles familiaux ?

« Je ne dis pas que c’est un bouleversement du modèle familial, je reconnais que maintenant il y a énormément de formes familiales. Un modèle familial unique d’ailleurs, il n’y en a jamais eu. Au cours du temps, les modèles familiaux comme vous dites sont extrêmement divers et depuis que la famille change, avec le divorce, les recompositions familiales, le non-mariage, etc., il y a longtemps que tous les sociologues sont d’accord pour dire qu’il n’y a pas de définition unique de la famille et que le modèle dit bourgeois a disparu.

On pouvait tenir le discours du bouleversement dans les années 1980 ou 1970 en se référant aux années précédentes, mais depuis il y a eu suffisamment de changements familiaux pour dire qu’il n’y en a pas.
Par ailleurs, le fait de faire élever des enfants par deux personnes du même sexe, ce n’est pas du tout non plus un bouleversement familial. J’ai déjà écrit cela depuis longtemps, quand on travaillait sur les grand-parents. Jean-Paul Sartre et tant d’autres gens ont été élevés par une grand-mère et une mère, une mère et une tante, etc. Je récuse donc les mots de bouleversement familial. Pas plus que le mariage pour tous, je ne pense pas que cela va bouleverser la société. »

– L’opposition à la PMA est surtout le fait de mouvements liés à la Droite et aux catholiques. Selon vous, pourquoi la Gauche a-t-elle abandonné ces thèmes ?

« J’ai lu cela quelque part : ce sont des procréations médiatiquement assistées ! C’est-à-dire que les médias n’arrêtent pas depuis des années de travailler l’opinion, les mouvements LGBT nous montrent que c’est normal, que c’est un progrès, qu’il y a eu l’évolution depuis la famille patriarcale jusqu’à l’homoparentalité, tout ça c’est des progrès. Discours donc soutenus par la gauche qui réfute toute critique ou repousse toute contestation.

C’est vrai que c’est plus de liberté, ce sont des libertés nouvelles, des occasions, des opportunités ouvertes bien entendu aux couples homosexuels femmes pour l’instant. Donc, s’il y a plus de libertés, c’est un progrès ; c’est vrai que c’est un progrès pour ces couples-là mais est-ce que ça veut dire qu’on est « progressiste » ? Quand on est de gauche, on est forcément progressiste, donc les autres sont forcément réactionnaires. Ainsi la gauche a du mal à se placer à contre-courant, même s’il existe quelques paroles courageuses.

Cependant, il y a des murmures, qu’on n’entend guère mais par exemple, j’ai surtout travaillé dans le cadre d’actions contre la GPA et il y a des gens qui sont écolos qui pensent que PMA, puis GPA, sont tout à fait contraires aux valeurs du mouvement écologiste. Mais pour l’instant, si on est de gauche et qu’on dit qu’on est contre la PMA, on va être mis au banc de la société de gauche et de la société des médias.

J’ai fait tout un travail, qui n’est pas publié, sur Le Monde et les articles du Monde dans les années 1980. C’était au moment de la naissance de la petite Louise Brown, d’Amandine et de toutes les avancées technologiques en matière de reproduction. Il y avait une prise de parole dans le Monde qui était très forte de la part de médecins, de philosophes qui en tout cas posaient des questions en termes philosophiques et éthiques, qu’on n’entend absolument plus aujourd’hui. C’est très curieux et maintenant il n’est plus question que de répondre aux désirs puisqu’on peut les satisfaire. »