Ce sont 4 000 à 5 000 personnes qui se sont rassemblées sous la pluie hier à Rouen, pour réclamer des comptes alors que l’État a largement faillit dans sa gestion de l’accident de l’usine Lubrizol et que les inquiétudes sanitaires et écologiques sont de plus en plus grandes.
5 000 personnes, c’est à la fois beaucoup et en même temps très peu, car la situation est vraiment terrible à Rouen. L’odeur est toujours très forte dans l’agglomération et aucune information n’est en mesure de rassurer la population. C’est qu’au fond, personne n’est dupe et croit qu’il puisse ne pas y avoir de conséquences après un tel incendie.
La communication est difficile à interpréter car les informations sont nombreuses et diffuses. Ce sont en tous cas 5 253 tonnes de produits chimiques qui ont brûlé ce 26 septembre selon le chiffre officiel, alors forcément que cela laisse des traces et pas seulement celles qui sont visibles. Il faudra peut-être du temps aux personnes ayant les connaissances pour interpréter la longue liste de données dévoilée par la Préfecture sous la pression de la population.
En attendant, cela ne suffit pas, car ce qui compte n’est pas seulement ce qui est analysé maintenant, mais aussi ce qui peut ne pas être analysé, volontairement ou non. Il faut, comme l’a réclamé Corinne Lepage, qu’un état des lieux d’urgence de la situation soit fait sous la supervision d’une expertise indépendante. Elle a déposé pour cela un référé pour le compte de l’association Respire, réclamant la nomination de cet expert par la justice.
L’enjeu est évident et sera déterminant pour l’avenir, comme elle l’a expliqué à Paris-Normandie :
« Pour moi l’urgence actuelle, c’est d’une part la question de l’environnement et d’autre part, la question des éléments de preuve que chacun peut accumuler pour le futur. D’où l’idée de cet état des lieux d’urgence par un expert, une procédure qui n’est pas faite pour chercher des responsabilités ou des causes, mais pour faire un constat à un moment donné.
De quels éléments dispose-t-on ? Quelles analyses sont faites où à faire ?, etc. Ce que l’on entend par preuves, ce sont aussi des photos authentifiées, des prélèvements que les uns et les autres peuvent faire. Que des choses factuelles et qui seront discutées de manière contradictoire.
C’est-à-dire que si le président du tribunal nomme cet expert, la procédure sera opposable à l’État et à Lubrizol. Nous serons donc trois parties. Cette nomination peut être décidée dans la semaine. En tout cas, si le président n’en veut pas, il faudra qu’il le dise rapidement et nous ferons autre chose. »
La démarche de Corinne Lepage est peut-être partielle, cantonnée à l’aspect judiciaire dont ont peut douter de la fiabilité démocratique. En attendant, c’est la moindre des choses, car sans ça il n’y a rien et la population pourrait se retrouver au dépourvu si les risques redoutés sont avérés.
Si l’on résume la situation à Rouen, voici les principaux points qui apparaissent, la liste n’étant bien sûr pas exhaustive :
– sur 1000 fûts encore présents sur le site, 160 présentent un grand risque et devront être évacués précautionneusement car pouvant dégager de l’hydrogène sulfuré ;
– les pompages dans la Seine, sur le site et aux alentour ne sont pas du tout terminés et il n’y a pas de communication précise sur l’impact écologique et l’estimation du temps que cela va prendre ;
– les odeurs persisteront tant que les pompages ne seront pas terminés ;
– aucune fibre d’amiante n’apparaîtrait sur les surfaces et dans l’air le niveau serait extrêmement faible, inférieur aux seuils d’alerte ;
– il y a une inquiétude sur la question des HAP (Hydrocarbures Aromatique polycyclique, qui proviennent de la manipulation de solvants ou de la combustion d’hydrocarbures), sans que des réponses soient apportées à ce propos ;
– le Plans de prévention Lubrizol des risques technologiques n’avait apparemment pas envisagé le risque d’un tel incendie de l’usine ;
– il n’y a pas eu d’alarme dans la ville pour prévenir la population au moment de l’incendie, alors qu’il existe pourtant un protocole de confinement qui aurait du être appliqué immédiatement ;
– les pompiers avaient un équipement apparemment non-satisfaisant et ont largement été victimes de maux après leur intervention ;
– il n’y a pas eu de communication cohérente et semblant fiable pour un protocole de nettoyage des habitations, des lieux publics et des espaces naturels, que ce soit pour les particuliers ou les collectivités ;
– il y a de nombreux témoignages dans la population concernant des maux de ventre et des vomissements, ainsi qu’un témoignage d’un syndicat de police évoquant plusieurs policiers malades suite à leur intervention sur l’incendie ;
– l’agriculture et les élevages dans la zone du nuage sont entièrement impactés, tout comme les jardins et potagers des particuliers et associations ;
– des oiseaux et poissons ont été retrouvés morts après l’incendie et son immense nuage ;
– il y a une l’inquiétude des apiculteurs amateurs alors que les abeilles butinent actuellement dans la zone du nuage et mangeront cet hiver leur miel qui sera potentiellement pollué et peut-être nocif pour elles ;
– il y a une absence de compétence collective et indépendante, populaire, pour estimer la situation et organiser une expression démocratique massive après cet incendie.
On constate ainsi à Rouen, mais ce serait presque partout la même chose en France malheureusement, une grande désorganisation de la société civile, complètement atomisée et à la merci de l’État qui ballade tout le monde avec ses informations et ses non-informations.
C’est là bien évidement une grande faillite de la Gauche, qui dans une grande agglomération industrielle comme Rouen devrait être à la pointe et extrêmement bien organisée, sous l’égide de la classe ouvrière.
C’est à la classe ouvrière justement de mener le mouvement démocratique et populaire contre l’État et les industriels incapables d’assurer la sécurité. La classe ouvrière, quand elle s’exprime, sait de quoi elle parle. Elle dispose de la raison et du sens de l’intérêt collectif indispensable pour changer les choses, comme l’illustre très bien cet interview par France 3 Normandie d’un ouvrier ayant travaillé pour Lubrisol :