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La faible mobilisation à Rouen malgré le choc face à la pollution chimique

L’explosion de l’usine Lubrizol à Rouen a provoqué un gigantesque émoi dans la population, mais il n’existe pas de mobilisation populaire d’ampleur significative. Tout comme pour l’incendie de Notre-Dame à Paris, tout est géré de manière froide et administrative : s’il y a des protestations, elles ne produisent rien de politique.

L’absence d’une mobilisation d’envergure à Rouen montre que la Gauche ne dispose plus de relais populaires comme elle en avait par le passé. Le niveau d’organisation est à l’image du niveau de conscience politique : terriblement faible, pratiquement anéanti en-dehors des démarches corporatistes.

La conquête de la conscience de millions de gens demande un travail ardu ; que dire alors du fait de les organiser, de les habituer à s’organiser ? Si jamais le principe de révolution a un sens et qu’on est pas un blanquiste, un putschiste, alors on voit qu’on est extrêmement loin de l’auto-organisation de la société par elle-même !

Objectivement, les gens peuvent tout gérer, mais subjectivement, ils sont totalement déboussolés. Ce qui se passe à Rouen est une épreuve terrible pour les habitants et pourtant il n’existe pas de structuration sur le plan de l’organisation, de la politique.

Même si on est réformiste et pas révolutionnaire, on voit bien que c’est davantage la stupeur qui prédomine qu’autre chose. Il s’agit d’une sorte d’événement sorti de nulle part pour les gens, qui ont totalement perdu la moindre idée du fait de se concevoir comme une partie de la société.

Les gens se considèrent dans la société, mais pas une partie de la société. Ils prennent, ils donnent, ce n’est qu’un échange à dimension individuel :  voilà leur vision des choses. Il n’y a aucune considération générale, en terme de société, du pays lui-même.

Même l’extrême-Droite est d’ailleurs obligée de se tourner vers le discours identitaire , tellement la considération « nationale » exige déjà trop une remise en cause de l’amour-propre individualiste propre à une société de consommation maximalisée.

Toute la Gauche, qu’elle soit révolutionnaire ou réformiste, voit bien qu’il y a un problème de fond dans la réceptivité des gens et dans leur capacité à se tourner de manière consciente vers une critique raisonnée de la société. Les gens sont devenus rétifs à tout engagement passant par une dynamique générale, ils ne réagissent plus qu’en tant qu’individus.

Quiconque ose poser quelque chose de différent que ce prisme individuel est par définition une sorte de facho ou de conservateur vivant dans le passé. Il y a là un paradoxe puissant, car en même temps le Peuple, dans son ensemble, exige des normes, des règles, des principes. Il raisonne en termes d’universalisme.

Mais les gens, s’ils sont le peuple, ne s’accordent pas sur ce qu’ils sont. Chacun veut s’en sortir individuellement, ce qui produit des esprits petits-bourgeois ou bourgeois à l’infini, alors que le niveau de vie ne suit nullement derrière. Le décalage entre les illusions des gens et leur réalité sociale est immense – et quand ils le saisissent, ils deviennent aigris et cela donne des gilets jaunes.

Ce qui se passe à Rouen est donc un terrible exemple, un aveu de faiblesse gigantesque pour la Gauche. Les protestations des organisations populaires auraient été massives il y a 10, 20, 30 ans. Aujourd’hui il y a la simple constatation de ce que le gouvernement fait ou pas, avec une critique cherchant à être bien placé, mais passant toujours au-dessus de la réalité concrète, politique, de l’existence des gens.

Le capitalisme a véritablement engourdi les esprits à un degré très profond, les gens sont comme congelés. Comment les remises en cause futures vont-elles se dérouler ? Cela va être un profond traumatisme.