On pardonne aux gens brillants leur indiscipline… parce qu’ils sont brillants, qu’ils débordent du cadre pour apporter des choses, en respectant les exigences des autres. C’est étrange, mais il y a des parcours non pas meilleurs, mais différents : ces gens sont mauvais en certains endroits, mais tellement bons dans les autres ! Ce qui est inacceptable, par contre, c’est l’absence de loyauté. Car là les esprits brillants ne travaillent plus que pour eux, ne font que s’auto-satisfaire. C’est d’ailleurs à partir de là qu’ils cessent d’être brillants.
Il y a toujours eu, à Gauche, des gens ayant un parcours assez particulier. Il y a toujours eu, grosso modo, trois types de gens : il y a les penseur et raisonneurs, plus hyper actifs qu’intellectuels ; il y a les gens avec une formation avancée ; il y a les sympathisants.
Mais parmi tout cela, il y a des esprits qui se baladent, qui voguent. Ils comprennent tout, sont brillants, avec des points les perturbant et les obsédant. Ils vont et viennent, tels des fantômes réels tourmentés et humainement très attachants.
On les adore, car ils apportent des choses authentiques ; au-delà du sens de l’exigence, ils ouvrent des perspectives auxquelles on n’a pas forcément pensé. Tant qu’ils reviennent, on les respecte comme des compagnons de route incontournables, assez particuliers, mais tellement essentiels.
L’Histoire de la Gauche donne de très nombreux exemples de cela. Le plus connu, auquel on ne pense pas forcément ici, c’est Jean Jaurès. Ses idées étaient éclectiques et personne ne comprenait s’il était républicain ou marxiste, réformiste ou bien attendant un élan révolutionnaire. Mais ses propos étaient incisifs, son sens des tournures formidable, il était incroyablement mordant.
En Allemagne, la figure équivalente, bien que très différente dans sa forme et son contenu, c’est bien sûr Rosa Luxembourg. Elle jetait des monceaux de critiques sur les dirigeants sociaux-démocrates devenus trop institutionnels à son goût, mais il n’était pas possible de la mettre de côté, strictement impossible même. En URSS, il y avait les écrivains Maïakovski et Gorki, qui passaient leur temps à foncer et à râler, au grand dam des bolcheviks qui, pourtant, leurs pardonnaient absolument tout.
Ce qui n’a par contre jamais été accepté, ce sont les gens n’ayant pas de loyauté. Être tourmenté, c’est une chose. Profiter des autres pour se mettre en avant, parce qu’on est vif d’esprit et qu’on peut piller les bonnes idées accumulées par d’autres pendant longtemps, c’est autre chose.
On se doute que dans un pays comme la France, plein de richesses et d’éducation, le nombre de ce esprits brillants est conséquent. L’impact n’en est plus que dévastateur. Il suffit de regarder ce que sont devenus les gens impliqués dans l’après mai 1968.
Ainsi, le nombre de gens par exemple issus de la « Gauche Prolétarienne » ayant fait carrière est vraiment important. Dans le cinéma, la musique, la littérature, la presse, les entreprises, l’appareil d’État… Le nombre de gens ayant saisi des choses dynamiques pour les réduire en moyen pour une reconversion réussie, une carrière brillante, est vraiment important.
Imaginons que ces gens soient restés engagés à Gauche, tout en développant leurs capacités comme ils l’ont fait après ! Les résultats auraient été formidables. Cependant, ces gens n’ont pas eu de loyauté. La loyauté est une qualité populaire et elle ne s’apprend pas, elle ne s’improvise pas, elle se vit.
Ce constat peut être fait bien entendu pour le Parti socialiste à partir de 1983, qui pareillement a regroupé des esprits profondément brillants, mais cédant à la corruption de la reconnaissance et de l’argent, ainsi qu’à l’attrait de posséder des richesses, des propriétés.
Si Emmanuel Macron fascine tant les libéraux, c’est qu’il représente justement cet esprit brillant qui tire son épingle du jeu en abandonnant sur place ce qui l’a porté, jetant toute loyauté aux oubliettes, pour réaliser sa carrière. C’est le règne du cynisme et le capitalisme fabrique en masse des gens fascinés par la capacité à être cynique.
C’est la différence entre la Gauche et la Droite. La Gauche ostracise ceux qui n’ont pas de loyauté. La Droite vante ceux qui ont réussi à sacrifier la loyauté sur l’autel du succès capitaliste. Cela est vrai pour les petits détails comme les grands. Il n’est donc pas bien difficile de constater l’hégémonie culturelle de la Droite sur la société française et sa mentalité.