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Prix Nobel d’économie 2019: des experts en business

Il y a des gens qui gagnent leur vie en faisant travailler les pauvres. D’autres en en parlant. Le prix Nobel d’économie 2019 a été gagné par des gens ayant monté un vrai business « scientifique » de discours sur la pauvreté.

Le prix Nobel d’économie a été remis cette année à la française Esther Duflo et son mari d’origine indienne Abhijit Banerjee, ainsi qu’à l’américain Michael Kremer, les deux premiers ayant pris cette nationalité également.

C’est qu’Esther Duflo est le prototype de l’intellectuelle bourgeoise faisant carrière aux États-Unis. Elle fait une prépa au Lycée Henri IV, rejoint l’École normale supérieure, puis un DEA à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), pour devenir agrégé d’économie.

Elle fait ensuite un doctorat au fameux MIT américain, dont elle devient ensuite professeur. C’est là-bas que se fonde le laboratoire Abdul Latif Jameel d’action contre la pauvreté, alors qu’Esther Duflo reçoit de nombreux prix, distinctions, publications dans des revues, etc.

L’idée de base est qu’il s’agit de procéder à des « évaluations d’impacts par assignation aléatoire (Randomized Control Trial) », en gros de mener des enquêtes pour voir les résultats de telle ou telle politique sociale, y compris si elle n’as pas été en fait réalisée.

On l’aura compris, c’est l’application de l’utilisation de données statistiques (même pas complètes, car il s’agit seulement d’échantillons) à la réalité sociale (définie par ailleurs subjectivement).

Ces « Randomized Control Trial » ou RCT sont totalement à la mode et il faut citer ici un article de Florent Bédécarrats, Isabelle Guérin et François Roubaud, qui avaient prévu en 2013 l’obtention du prix Nobel par Esther Duflo.

« Rares sont aujourd’hui les formations académiques prétendant « tutoyer l’excellence » qui ne proposent un cursus spécialisé dans ce domaine, comme à l’École d’économie de Paris, la London School of Economics, Harvard, Yale, etc.

Rares sont également les agences d’aides qui n’aient pas créé de département qui leur soit dédié, ou engagé ou financé leurs propres rct (…).

La figure d’Esther Duflo est l’exemple le plus illustratif de cette mouvance. Jeune chercheure franco-américaine, elle cumule les distinctions académiques, dont la célèbre médaille Bates, qui récompense le « meilleur économiste » de moins de 40 ans et qu’elle a reçue en 2010.

Elle a à son actif un nombre impressionnant de publications dans les revues d’économie les plus prestigieuses, mais elle vulgarise également ses travaux sous la forme d’ouvrages accessibles au grand public. Depuis 2008, elle figure sur la liste des 100 premiers intellectuels mondiaux du magazine américain Foreign Policy. En 2011, c’est le Time qui la compte parmi les 100 personnes les plus influentes au monde.

Fin 2012, elle a été nommée conseillère du Président Obama sur les questions de « développement global ». En France, elle a été la première titulaire de la toute nouvelle chaire « Savoir contre pauvreté » du Collège de France, créée et financée par l’Agence française de développement (AFD). Son nom est régulièrement cité comme candidate potentielle à un prochain prix Nobel d’économie.

Ces jeunes chercheurs de la mouvance rct se distinguent également dans le mode de gestion de leur activité. En montant des ong ou des bureaux d’étude spécialisés, ils créent les structures idoines pour recevoir des fonds de toutes origines : publique bien sûr, mais également de fondations, d’entreprises, de mécènes, etc., hors des circuits classiques de financement de la recherche publique.

Sur ce plan, ils sont en parfaite adéquation avec les nouvelles sources de financement de l’aide que constituent les fondations privées et les institutions philanthropiques, qui se montrent particulièrement enclines à leur confier des études.

En parvenant à créer leurs propres guichets de financement, principalement multilatéraux (l’initiative de la Banque mondiale pour l’évaluation d’impact du développement, l’initiative internationale pour l’évaluation d’impact, la Banque africaine de développement, le fonds stratégique pour le développement humain), mais aussi bilatéraux (la coopération espagnole et britannique) et des fondations (Rockefeller, Citi, Gates), les randomisateurs ont créé un oligopole sur le marché florissant de l’expérience aléatoire.

La nébuleuse organisée autour de j-pal, co-dirigée par Esther Duflo, constitue le modèle le plus emblématique et le plus abouti de ce nouveau scientific business model. Le laboratoire j-pal est l’un des centres de recherche du département d’économie du Massachusetts Institute of Technology.

Cet ancrage institutionnel, au sein d’une des plus prestigieuses universités américaines, ainsi que la notoriété de ses dirigeants, jouent le rôle de caution académique et de catalyseur.

Au côté de j-pal, Innovations for Poverty Action (ipa) joue un rôle névralgique. Organisation à but non lucratif, outre sa fonction de communication et de plaidoyer en faveur des rct, elle est chargée d’étendre et de répliquer les expériences aléatoires une fois testées par j-pal. »

Peut-on critiquer le capitalisme depuis le cœur des institutions ? Certainement pas. Les gagnants du prix Nobel 2019 ne critiquent d’ailleurs pas le capitalisme, ils prônent le développement social, ils sont donc « de gauche » selon la définition d’un Lionel Jospin ou d’un François Hollande.

Mais en réalité, ce sont des gens cherchant à impulser encore plus de capitalisme en faisant en sorte qu’il y a ait le plus d’accumulation de capital possible, y compris à petite échelle, pour encore plus relancer la machine terriblement grippée.

Le capitalisme est à bout de souffle et il racle le fond. Il a même besoin du micro-crédit, c’est dire ! Et il a une armée de chercheurs pour l’aider en ce sens, qui masquent leur sinistre activité derrière les termes de « développement », de « progrès social », etc. Tout en en vivant très bien eux-mêmes.