Il existe en France une profonde passion pour le crime dans certaines franges de la population. Déclassés et anarchistes, éléments antisociaux et lumpens célèbrent le crime comme acte libérateur, pratiquement transcendant. Le parcours de Gilles Bertin, qui vient de décéder, est ici exemplaire d’une fascination pour la figure du criminel refaisant sa vie.
Il y a des virages qu’il ne faut pas rater. En 1982 avait lieu un tremplin rock et il y eut deux ex-aequo : Camera Silence et Noir Désir. Les musiciens de ce dernier groupe refuseront le prix et assument un esprit qui va leur permettre par la suite une carrière fulgurante, avec une haute qualité, mais avec une base finalement douteuse comme le révélera l’affaire Bertrand Cantat par la suite.
Camera Silens gagna alors le droit d’enregistrer un album, mais cela n’empêchera pas l’autodestruction. Car Camera Silens relève de toute une mouvance mêlant punk, skinheads, autonomes, réseaux favorables à la lutte armée en Allemagne ou en Italie (dont Action Directe n’est qu’un aspect), ainsi que branchés fréquentant le Palace.
On se tournera avec fascination vers une bande dessinée méconnue et fondamentalement mésestimée, alors que c’est un portrait exemplaire de toute un esprit : Z craignos (notamment le passage chez les punks et les skins, les autonomes étant liés à tout cela par la dimension squat).
Gilles Bertin est l’un de ceux-là et le chanteur d’un groupe mythique de la scène, Camera Silens, version latine allégorique (« cellule silencieuse ») désignant la dépravation sensorielle des cellules où sont enfermés les militants emprisonnés de la Fraction Armée Rouge en Allemagne de l’Ouest.
Une chanson comme « Est/Ouest » reprend d’ailleurs exactement le discours anti-guerre et anti-blocs des guérillas urbaines alors, tandis qu’une chanson comme « Pour la gloire » est typique d’un esprit punk skinhead d’esprit antisocial. Cela et d’autres chansons reflétant toute une angoisse sociale extrême, dans l’esprit des punks et des autonomes alors, font de l’album Réalité un classique du genre (avec notamment la chanson éponyme), qui a profondément marqué les esprits pour qui l’a découvert.
Seulement cette mouvance dans sa version française a deux fascinations : la drogue (surtout l’héroïne) et le crime. Alors qu’à Berlin les autonomes et les punks ont une démarche très hippie, ouvrent une centaine de squats à Berlin-Ouest et sont totalement culturels et politiques, en France on est dans l’autodestruction.
Il y a des fascinations pour les esthétiques fascistes, il y a des liaisons ouvertes avec les milieux criminels, les histoires sordides sont légion. Pour n’en citer qu’une – le faut-il vraiment ? – il y a un groupe d’une dizaines d’autonomes vivant dans un squat parisien et pratiquant des braquages, mais un couple veut arrêter. Ils sont exécutés, la femme connaissant un viol collectif auparavant.
Gilles Bertin se drogue donc, commet des vols, se fait condamner à neuf mois de prison et en fait six en pratique, il a une compagne qui attend un enfant, mais il décide de participer à un braquage et s’enfuit sans jamais revoir sa femme et son enfant littéralement abandonnés. Il apprendra bien plus tard en appelant son père que sa mère est morte.
Le braquage en question, qui s’est déroulé en 1988, au moyen d’une prise d’otages de deux salariés ayant les clefs de l’entrepôt de la Brinks et de leurs épouses – une action typiquement criminelle, donc – a amené un butin de 11,7 millions de francs (l’équivalent à l’époque de 2,9 millions d’euros). Gilles Bertin a un très beau pactole malgré le partage entre militants indépendantistes basques, punks et toxicomanes. Il se dore la pilule en Espagne sur la côte en ayant donc abandonné femme et enfant, refait sa vie en Espagne et au Portugal.
Malade du sida, il profite de l’absence de surveillance pour les papiers au Portugal pour se soigner, tout en tenant un magasin de disques. Il vit ensuite en Espagne mais a des soucis pour se faire soigner. Qu’à cela ne tienne, il revient en France en 2016 pour se faire soigner puisqu’il n’a pas le choix, jouant les repentis, ce qui marche puisqu’il obtient cinq ans avec sursis, tout en publiant Trente ans de cavale Ma vie de punk.
La boucle est bouclée et il y a tous les ingrédients pour faire de ce parcours quelque chose de romantique, alors que c’est totalement vide de sens. Pas étonnant que les médias parlent avec fascination de tout cela, comme d’ailleurs « l’anniversaire » de la mort de Jacques Mesrine, le 2 novembre 1979, a eu beaucoup d’échos.
Cette fascination pour le crime est odieuse, mais comment s’étonner à une époque où ce qu’on doit qualifier de cannibalisme social est si valorisé par des films, des séries, des chansons ?