Accepter ou refuser tel ou tel concept a un sens. Lutte Ouvrière, l’organisation d’Arlette Laguiller et de Nathalie Arthaud, a été ainsi très clair sur le concept d’« islamophobie » : elle le rejette comme un outil culturel de forces réactionnaires, elle condamne l’extrême-Gauche complaisante et populiste. C’était en 2017. À l’occasion de la manifestation du 10 novembre 2019, elle a fini par s’aligner et capituler sur le plan des idées, de la culture.
Nathalie Arthaud utilise donc le concept d’« islamophobie », de manière assumée. En février 2017, sa revue internationale Lutte des classes publiait un article à charge contre ce terme: Le piège de la «lutte contre l’islamophobie».
Y était dénoncé la galaxie utilisant ce terme comme vecteur d’une démarche religieuse et – surprise – on trouve justement les signataires de l’appel pour la manifestation du 10 novembre auquel souscrit finalement Lutte Ouvrière. Voici ce qu’on y lit :
La galaxie de l’anti-islamophobie
Depuis plusieurs années, une galaxie de groupes se donnant pour objectif la « lutte contre l’islamophobie » se développent et prennent diverses initiatives. Certains, comme l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) ou PSM (Participation et spiritualité musulmanes), sont ouvertement des associations de prosélytisme religieux. D’autres se défendent d’être des organisations religieuses et se cachent derrière des revendications d’égalité, de lutte contre le racisme et contre l’islamophobie. C’est le cas du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), de Mamans toutes égales, du Collectif une école pour toutes, Féministes pour l’égalité, et plus récemment d’Alcir (Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes). Le Parti des indigènes de la République (PIR) est aussi à ranger dans cette galaxie.
Depuis l’attentat contre Charlie hebdo, en janvier 2015, les initiatives de ces groupes se sont multipliées : rassemblement anti-islamophobie le 18 janvier 2015 à Paris ; meeting contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire le 6 mars 2015 à Saint-Denis ; Marche de la dignité et contre le racisme organisée par le PIR le 31 octobre 2015 ; meeting à Saint-Denis contre l’état d’urgence le 11 décembre 2015, ou encore, le 21 septembre dernier, le meeting d’Alcir baptisé « Pour un printemps de la liberté, de l’égalité et de la fraternité », organisé dans le 20e arrondissement de Paris.
Ces différentes initiatives ne prêtent pas forcément à la critique. Le rassemblement du 18 janvier 2015 était une réponse à une manifestation d’extrême droite organisée le même jour pour « expulser tous les islamistes ». Et organiser des réunions contre l’état d’urgence ou marcher contre le racisme peut sembler juste. La question est de savoir qui organise ces initiatives, quelles idées s’y expriment, et ce que des militants qui se disent d’extrême gauche y font et y disent.
Ces rassemblements ont tous été en réalité des tribunes pour des organisations islamistes et communautaristes.
Lors du rassemblement du 18 janvier 2015, des jeunes brandissent des drapeaux algériens, turcs, marocains, des panneaux portant des sourates du Coran, et une grande banderole : « Touche pas à mon prophète ».
Le meeting du 6 mars 2015 était coorganisé par l’UOIF. Celui du 11 décembre faisait, lui aussi, la part plus que belle aux militants religieux. Certes, des laïcs (journalistes du Monde diplomatique ou représentante du Syndicat de la magistrature) s’y sont exprimés, mais en partageant la tribune avec Tariq Ramadan, Ismahane Chouder, porte-parole de PSM, ou Marwan Muhammad, porte-parole du CCIF.
On retrouve les mêmes parmi les signataires de l’appel pour le meeting d’Alcir du 21 septembre 2016. Le nom des porte-parole des associations et groupes religieux musulmans figure sur l’affiche, ornée d’une photo d’une femme voilée drapée… dans un drapeau bleu-blanc-rouge.
Parmi les signataires de cet appel on trouve le NPA, qui a appelé à ce meeting sur son site, avec cette affiche puant le patriotisme et le républicanisme.
Ces différentes initiatives se sont faites avec la participation ou le soutien de groupes ou partis de gauche (Attac, Ensemble, EELV) ou d’extrême gauche (anarchistes libertaires, antifas, NPA). Et le 18 décembre 2016 encore, a eu lieu une conférence internationale contre l’islamophobie et la xénophobie, à Saint-Denis, à laquelle appelaient conjointement le Parti des indigènes de la République et le NPA, et dont l’appel était signé par Olivier Besancenot et Tariq Ramadan.
Le même article dénonce la complaisance avec ces forces présentées comme réactionnaire…
La complaisance de l’extrême gauche
Une partie de la « gauche de la gauche » organise avec ce milieu réactionnaire toutes sortes d’initiatives, leur ouvre ses colonnes ou discute doctement avec eux de leurs positions.
Ce n’est pas par accident. Il y a longtemps que la LCR, et plus encore le NPA, se refusent à critiquer clairement le voile, et font preuve vis-à-vis de l’islam d’une bonne dose de démagogie. On se souvient de l’affaire de la candidate voilée du NPA dans le Vaucluse, en 2011. Se refusant à affirmer sans ambages le caractère oppressif du voile et de ses divers avatars vestimentaires, des membres de ce parti sont allés par exemple, en août dernier, jusqu’à organiser dans le cadre de leur université d’été une manifestation pour défendre le droit des femmes à porter le burkini, aux cris de « Trop couvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider ». On n’est, on le voit, pas très loin du féminisme décolonial.
Le NPA a déclaré, à la suite d’une réunion de sa direction nationale les 17 et 18 septembre dernier, que « le NPA, ses militants, ses porte-parole et son candidat seront au cœur de l’action contre le racisme et l’islamophobie ». Un communiqué du 16 octobre appelle à « faire de la lutte contre l’islamophobie une véritable priorité ».
Cela n’a rien de fortuit, de la part d’un courant qui a pour habitude d’épouser les idées d’autres courants, dans l’espoir de gagner l’oreille de telle ou telle fraction de la jeunesse, de la petite bourgeoisie intellectuelle ou du monde du travail. Autrement dit : tentons d’attirer les jeunes des banlieues à nous… en nous rangeant derrière des organisations qui, elles, disent ce que ces jeunes veulent entendre, quelque réactionnaires que soient leurs idées.
Cet opportunisme est une vieille tradition d’une partie du mouvement trotskyste, la même qui l’a conduite, dans le passé, à soutenir sans s’en démarquer les nationalistes des pays colonisés, comme le FLN algérien, ou certains courants staliniens, à trouver des vertus aux associations les plus réformistes, comme Attac, ou à faire les yeux doux aux décroissants.