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Quatre ans après, le problème de la mémoire du 13 novembre 2015

C’est une chose étrange qu’il y ait encore des concerts et des spectacles au Bataclan. Comment se trouver dans un tel endroit sans avoir le cœur serré et être pris d’une angoisse complète ? Mais les Parisiens ont décidé que la vie continuait. Et elle continue donc, sans que ce terrible 13 novembre 2015 ait été oublié. L’événement dramatique est-il cependant pris en compte comme il se doit ? On peut en douter.

Le conseil de Paris vient de décider qu’il va établir un Jardin du souvenir en mémoire des victimes des attentats du 13 novembre 2015, qui avaient fait 131 morts, dont 90 au Bataclan, et 413 blessés. Étaient alors visés des gens auprès du Stade de France, à la terrasse des cafés et dans la salle de concerts même. Quatre ans après, c’est tard. Et la problématique du Bataclan reste entière. Les artistes ne veulent pas y aller, il y a des soucis importants de « rentabilité ».

Il y a un problème de mémoire. Mais on sait que la question est difficile : comment maintenir l’affirmation que la vie continue et se recueillir ? La ville de Paris n’a rien su gérer de tout cela. La raison en est qu’il y a de moins en moins de vrais Parisiens, la ville se vidant de ses habitants historiques avec une mentalité bien particulière. Les bobos, les hédonistes, la grande bourgeoisie et les riches étrangers qui font de Paris leur fief ne comptent en rien transporter quelque chose de culture : ils veulent consommer conformément à leur style de vie.

C’est pourquoi il faut dire les choses ici clairement : la ville de Paris a voulu pratiquement effacer le 13 novembre 2015. Elle a refusé d’intégrer cela à son histoire, afin de ne pas abîmer son image de métropole touristique et financière, économique et politique, culturelle et idéologique. Elle veut un Paris sans histoire et sans rapport avec l’Histoire.

On a ici une profonde contradiction entre l’importance de l’événement, notamment sur le plan du vécu, et l’attitude de la ville de Paris. Et c’est un avertissement. Le capitalisme efface les mémoires, car il a besoin de consommateurs tournés uniquement vers le nouveau. Un Paris cosmopolite rempli de CSP+ ou CSP++ ne peut rien conserver du patrimoine historique de la ville. Les prochaines élections vont d’ailleurs effacer la prétention à ce qu’il y ait une « Gauche » à Paris, alors qu’en réalité il n’y a que des bobos semi-libéraux semi-écolos menant la lutte des places.

Le pire ici serait bien entendu que le Bataclan finisse par fermer ses portes. On aurait alors gâché l’occasion de le sanctuariser dès le départ. Et imaginez qu’il soit vendu et transformé, de manière assez radicale pour satisfaire les nouveaux propriétaires ? Ce serait une honte. Et c’est tout à fait possible, car l’opinion publique démocratique est de plus en plus en train de s’effacer face aux populismes.

Le Bataclan appartient d’ailleurs entièrement à Lagardère Live Entertainment, les deux codirecteurs Jules Frutos et Olivier Poubelle ayant l’année dernière vendus les 30 % de part de la société qu’ils possédaient. Le sort du Bataclan dépend donc d’un monopole. Est-ce normal ? Est-ce au capitalisme de décider ce que ce lieu doit être ? Ou bien ne faut-il pas penser, tout simplement humainement, comme Nicola Sirkis d’Indochine qui ne veut pas s’y produire, que cela doit être « un lieu de respect et de mémoire, un sanctuaire ou un monument ».

Cette dernière option est sans doute la meilleure, d’ailleurs. Y placer une exposition permanente ou quoi que ce soit de ce genre amènerait le même problème du respect du lieu. En faire un monument qui témoigne d’un événement dramatique est le plus juste, le plus conforme à une grande ville, le plus marquant dans une métropole.