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Est-ce le «soviet» qui manque à la Gauche française?

La soumission de la Gauche politique aux syndicats lors des luttes sociales est une tradition en France. Cela va pourtant à l’encontre de l’expérience en Europe, où ce sont les syndicats qui reflètent normalement sur le plan économique les perspectives tracées de manière politique. Le Parti socialiste se place ici dans cette expérience européenne en appelant à la grève du 5 décembre 2019 sans se placer dans la perspective syndicale.

Y a-t-il un problème d’organisation démocratique des travailleurs en France ? À la fin de la Première Guerre mondiale, la forme du « soviet », du conseil des travailleurs, a été assimilée dans une large partie de l’Europe, mais justement pas en France. C’est pourtant une forme qui permet la politique, alors que le syndicalisme à la française l’interdit.

Toute la Gauche a soutenu le principe des « soviets » lorsqu’il est apparu. Seule une partie de la Gauche – Lénine et les bolcheviks – considéraient que c’était la forme du « nouveau pouvoir » propre au socialisme. L’autre partie considérait que c’était la République, avec une représentation nationale « à l’ancienne ».

Mais tout le monde considérait que dans une période de troubles, la formation de « conseils » de travailleurs dans les entreprises était une chose cohérente, une mobilisation tout à fait dans l’ordre des choses. Les élections au sein des soviets en Russie montraient que l’ensemble de la Gauche y participaient (anarchistes, bolcheviks, menchéviks, socialistes révolutionnaires, etc.)

Et la crise ouverte en 1917 a provoqué la naissance de soviets dans de nombreux pays, souvent de manière massive, comme en Allemagne, en Italie, en Hongrie, en Autriche, en Finlande, bien sûr en Russie, etc.

Les pays les plus stables n’ont pas été touchés ; il n’y a donc pas eu de soviets en France, ni en Grande-Bretagne, deux pays où le syndicalisme était également puissant. Si cette question du syndicalisme est importante, c’est qu’on peut également voir que, par la suite, la forme « soviétique » n’est jamais apparue ni en France, ni en Grande-Bretagne.

Il y a bien sûr eu des assemblées générales de travailleurs dans une entreprise en lutte. Mais il n’y a jamais eu de prolongement de cette assemblée jusqu’à former une structure compacte prenant les décisions. Dans ces assemblées d’ailleurs, ce n’était pas les partis politiques de la Gauche qui formaient des tendances, mais seulement les syndicats.

Or, le problème est simple à comprendre : comment la Gauche peut-elle exister chez les travailleurs s’il n’existe aucun espace où ceux-ci peuvent se confronter à la politique de la Gauche ? La déclaration commune de novembre 2019 de la quasi totalité de la Gauche (hors PS) dit en définitive : nous serons la caisse de résonance politique des luttes syndicales.

Mais une telle chose ne peut pas exister. C’est pourquoi le Parti socialiste s’est montré bien plus intelligent, conséquent, logique, en ne signant pas la déclaration commune et en faisant son propre texte affirmant que la question n’était pas que syndicale, qu’elle touchait toute une vision du monde.

La déclaration commune dénonce évidemment le libéralisme économique également, mais en se plaçant dans l’orbite des syndicats. Le communiqué du Parti socialiste prend bien soin de terminer sur une note indéniablement politique. Il n’y a d’ailleurs pas le mot « syndicat », le flou étant savamment entretenu dans la première phrase, et dans la première phrase seulement :

« À l’appel de plusieurs fédérations et confédérations syndicales… »

Aucune référence aux syndicats n’est alors plus faite de tout le long communiqué ! On peut reprocher au Parti socialiste de faire de la mauvaise politique – mais en attendant, il en fait, contrairement aux signataires de la déclaration commune.

Tant que les travailleurs en France ne sauront pas en mesure de mettre en place une assemblée générale, de lui conférer un statut organisé, tant qu’ils maintiendront la fiction de la « lutte syndicale », on sera ainsi toujours à la traîne, dans une impasse avec d’un côté les réformistes électoralistes, de l’autre les syndicalistes « ultras ».