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La CGT et la CGT–FO à la croisée des chemins

La Fédération nationale CGT des Ports et Docks est rentrée dans la bataille, avec un blocage des ports pour 72 heures. La CGT abat une nouvelle carte, avec l’appui de la CGT-FO. Tous deux jouent leur existence et le risque d’une déroute apparaît comme de plus en plus tangible.

Le Premier ministre Édouard Philippe étant auparavant maire du Havre, la ville est un symbole important dans la lutte contre la réforme des retraites. La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Havre comptait organiser une soirée pour présenter ses « voeux », elle en a été empêchée par quelques centaines personnes, principalement des dockers.

L’initiative a été mouvementée ; barricadée à l’intérieur des locaux de la CCI, les forces de l’ordre ont en effet subi les lancers de fumigènes et de pétards. Un commissaire de police a eu la très mauvaise idée de ramasser un pétard, dont l’explosion lui a arraché un doigt.

Quelques jours auparavant, la mairie avait subi également l’interruption de ses vœux. Les manifestants en avaient profité, en pénétrant les lieux, pour s’approprier les petits fours et le champagne.

Tout cela est intéressant, indéniablement, si l’on regarde de manière abstraite. Car en pratique, cette lutte est une dernière tentative de relancer, par le forcing, un mouvement de lutte contre la réforme des retraites qui est en train d’agoniser du côté des cheminots et de la RATP.

Concrètement, c’est la fédération nationale CGT des Ports et Docks qui est rentrée dans la bataille, bloquant pour 72 heures différents ports (Le Havre, Marseille, La Rochelle, Bordeaux, Rouen, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire).

Ce que cela veut dire, c’est qu’on a pas ici affaire à une lutte impliquant les travailleurs, par en bas, sur la base de leurs propres décisions. On est dans une intervention tactique de la CGT, qui en appelle à une fédération très forte pour ajouter du poids dans la balance. On est donc encore et toujours dans le principe de la lutte syndicale par procuration, dans le substitutisme.

Il est évident que cela ne peut aboutir à rien et que cela ne fait que renforcer l’image d’un conflit opposant la CGT au gouvernement. Il est d’ailleurs marquant que la CGT -Force Ouvrière est sur la même position que la CGT, alors que normalement ce sont des frères ennemis s’ignorant. Ce qui est en jeu, c’est vraiment la question historique de savoir s’il y aura demain la place pour une cohabitation, comme c’est le cas depuis les années 1960, du patronat et de syndicats apparemment combatifs, le tout se neutralisant dans des instances mises en place par l’État.

Il ne faut pas se leurrer. C’est toute la tradition de la CGT qui risque de passer à la trappe. Ce qui est en jeu, c’est l’idée de la CGT et de la CGT-FO d’un syndicat à la fois intransigeant mais négociant, arrachant des acquis au sein de négociations institutionnalisées, proposant des contre-projets.

Si la réforme des retraites passe, alors il n’y aura plus de place que pour le syndicalisme non plus de cogestion – ce que sont la CGT et la CGT-FO – mais d’accompagnement moderniste, ce qu’est la CFDT.

Les conséquences seraient bien entendu politiques également, car le Parti Communiste Français est l’expression de la CGT, alors que de toutes façons une bonne partie des restes de la Gauche politique – qu’on sait terriblement affaiblie – s’appuie sur le monde syndical.

Il est ainsi normal que les dirigeants syndicaux, comme ce mercredi 15 janvier dans un  live Mediapart, ne cessent d’expliquer qu’il se passe quelque chose dans tout le pays… mais qu’en même temps, il n’y pas de bouton pour forcer la grève générale. Tout cela est incohérent, mais il s’agit de tenir, en espérant que la lutte des classes reprenne suffisamment tôt pour sauver les syndicats.

Auparavant, l’État faisait tout pour justement pour les sauver, comme en mai 1968, alors qu’ils étaient dépassés. Mais le capitalisme français dans la rude bataille à l’échelle mondiale ne peut plus se permettre tout cela. Il faut moderniser à marche forcée… et l’objectif est clairement de faire de la CFDT le seul interlocuteur, et à terme le syndicat hégémonique, voire unique.