La CGT Mines et Énergie a connu un premier avertissement avec deux agents d’Enedis (l’ancienne Électricité Réseau Distribution France, formée dans le cadre de la privatisation du secteur) arrêtés dans le cadre d’une enquête pour mise en danger de la vie d’autrui. Face aux coupures de courant, le gouvernement réagit exactement comme le faisait celui du début du 20e siècle face exactement aux mêmes problèmes.
L’idée de couper le courant pour produire de la nuisance n’a rien de nouveau ; la toute jeune CGT l’a déjà massivement employé à Paris au début du 20e siècle. Émile Pataud, le syndicaliste dirigeant la Fédération, était présenté par la presse de l’époque comme « le roi de l’ombre » de par sa capacité de nuisance. Cette pratique se situe dans le cadre de l’action directe pour la grève générale et lui valut une répression sévère.
Pour cette raison, la pratique disparut plus ou moins, les annales de l’électricité constatant en 2008 dans l’article « Un siècle de coupures de courant dans les grèves des électriciens. De la centralité à la marginalisation (1905-2004) » :
« L’utilisation originelle de la coupure remonte aux premiers conflits du travail majeurs des électriciens qui se produisent en 1905-1907 à Paris, avec pour objectif prioritaire l’assimilation au personnel municipal. Les grands moyens sont utilisés dans cette bataille pour le statut . Ces mouvements sont dirigés par Émile Pataud, l’une des figures de proue du syndicalisme d’action directe qui oriente alors la CGT.
Il décide donc d’initier l’utilisation d’une technique de grève qui s’avère d’abord efficace et frappe les esprits : la coupure de courant. Historiquement, c’est en effet entre 1905 et 1910 que cette pratique est la plus usitée. »
Le Émile Pataud en question pensait même que les travailleurs de l’énergie combinés à ceux du bâtiment seraient la proue de la grève générale renversant le capitalisme. Il a écrit un ouvrage science-fiction racontant cette épopée, Comment nous ferons la Révolution, rédigé en commun avec Émile Pouget, un dirigeant de la CGT, et republié en 1995 aux éditions Syllepse.
Ce goût anarchiste pour le grand soir – cette calamité française – fut calmé par la police, l’armée et les révocations. En 2020, le gouvernement d’Édouard Philippe a lancé une première salve d’avertissement en ce sens.
C’est en effet une affaire déjà passée qui est au centre des deux arrestations, puisque c’est le 10 janvier que l’entreprise Interspray, qui s’occupe de produits chimiques et est classée Seveso, a été privée de courant durant trois heures. Et on parle ici d’arrestations en mode brutal, du type la gendarmerie qui débarque très tôt le matin, dans une ambiance tendue.
C’est donc un avertissement du gouvernement, qui sait très bien que les syndicats, refusant de faire de la politique, basculent au mieux dans du syndicalisme « dur », avec comme seul appui une ultra-gauche sans impact dans le pays.
Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, alors à la centrale nucléaire de Gravelines lorsqu’il a appris la nouvelle, n’a pas été dupe et a affirmé en réponse que c’était « jeter de l’huile sur le feu » que de mener une telle répression. La CGT et FO ont également organisé un rassemblement devant la gendarmerie de Neuvic en protestation.
Parallèlement, la CGT continue de lancer toutes ses forces. La Fédération CGT du Commerce a menée hier une petite manifestation à Paris et l’action menée la nuit au 22 janvier au Centre administratif du Grand Port Maritime du Havre en dit long sur le fond de la question : c’est une bataille identitaire qui se joue.
On comprend que, de plus en plus, l’affrontement réel qui existe à l’arrière-plan dans le refus de la réforme des retraites prend place : celui entre la CGT, ainsi que FO, et le gouvernement entendant « moderniser » les partenaires sociaux, abandonner les vieilles formes de cogestion sociale.
Le capitalisme de la « start up » nation n’a plus besoin de centrales syndicales formant une partie des institutions (tout en prétendant être hors de l’État). Il coupe donc les vivres. Pour la CGT, et pour FO, c’est simplement une question de vie ou de mort.