En Alsace, tout reste à faire pour la Gauche. Réputée « terre de Droite », l’Alsace est surtout remarquable par la passivité des ouvriers et des forces populaires, de plus en plus subjugués par le nationalisme du Rassemblement national. Ceci dit, ici comme dans le reste de notre pays, la situation est en réalité identique. Elle prend certes un tour particulier en Alsace du fait de l’Histoire de cette région où la Gauche a subi de lourds reculs. Mais là aussi s’affirment des besoins, une nécessité forte, auxquels il est du devoir de notre camp de répondre.
C’est une certitude jamais franchement expliquées par les médias lorsqu’ils parlent de l’Alsace comme étant une « terre de droite ». Reconnaissons le fait que l’Alsace constitue dans notre pays un bastion de la Droite, dans sa version libérale comme dans sa version réactionnaire comme un constat incontournable.
Bien entendu, il faut voir aussi l’abstention massive, notamment lors des élections municipales justement (entre 55 % et 65 % ces dernières années). Mais encore faudrait-il dire que bien souvent, et notamment pour les élections municipales, cette abstention n’est qu’un autre reflet de la popularité du RN malheureusement. Elle est forte dans les communes qui votent massivement pour l’extrême-Droite mais où le RN n’est justement pas en mesure de proposer des listes municipales. Mais tout cela n’est pas une fatalité, ou une sorte d’état irrationnel relevant d’une essence « identitaire » de l’Alsace.
Il faut se souvenir d’abord qu’à l’époque du Reichland (1871-1919), quand la région était une part de l’Empire allemand annexée suite à la défaite française de 1871, l’Alsace a été particulièrement marquée par le ddéveloppement de la social-démocratie allemande de cette époque. La confessionalisation du vote entre protestants et catholiques si forte sous le Second Empire français (1852-1871) y a été dépassée dès les années 1880. Dans un contexte d’urbanisation et d’industrialisation rapide, le SPD (parti social-démocrate d’Allemagne) y est devenu le principal parti politique avec des scores dépassant systématiquement les 25 % des suffrages. La ville de Strasbourg a ainsi été représentée au Reichtag par une figure de la Gauche sociale-démocrate allemande aussi importante qu’August Bebel (député de Strasbourg entre 1893 et 1898).
La défaite de l’Allemagne, le sort des 380 000 soldats alsaciens combattants et l’annexion à la France signent l’effondrement de la social-démocratie en Alsace. La défaite de l’éphémère Conseil des Ouvriers et des Soldats de Strasbourg en novembre 1918 voit la prise de pouvoir des libéraux, appuyés par les nationalistes français, rejetant dans l’abstention et la morosité le mouvement ouvrier et les classes populaires.
Le PCF ne s’est paradoxalement que mal développé dans la région, littéralement écrasée alors par l’élan patriotique. L’Alsace, malgré tout de même l’élection d’un député communiste dans la circonscription de Sélestat lors du Front Populaire de 1936, reste massivement sur une ligne de Droite, libérale-nationale, affirmant le régionalisme dans le cadre de la France. Parallèlement, tous les groupes d’extrême-Droite ont trouvé une audience forte dans la région : en 1936, le PSF du général de La Roque compte ainsi près de 20 000 adhérents en Alsace. Toutes ces caractéristiques se prolongent encore comme les grandes lignes qui structurent le panorama politique de l’Alsace d’aujourd’hui.
Enfin, la période cruciale de l’annexion nazie en 1940-1945 se conclue par une nouvelle vague de nationalisme français, portée cette fois par le Gaullisme. Celui-ci va appuyer à la fois la question des « Malgré Nous » pour contourner celle de la nazification en Alsace et la question du traitement des prisonniers alsaciens sous uniforme allemand par l’Union Soviétique, avec toute la dénonciation du camp de Tambov comme symbole, pour appuyer localement l’anticommunisme.
Les Gaullistes appuient ainsi dans la région leur hégémonie culturelle sur un réseau d’élus locaux qui verrouillent fortement toute expression politique concurrente, notamment face à l’extrême-Droite. Cette hégémonie n’est seulement contestée que par des forces libérales, voire sociale-libérales, sous diverses étiquettes des partis centristes de type UDI/Modem et aujourd’hui LREM. Mais ces partis ne sont forts que là où l’urbanisation a permis de générer des classes moyennes relativement éduquées, ouvertes au cosmopolitisme, au relativisme postmoderne et fortement marquées par le protestantisme ou par leur passage dans les écoles confessionnelles du genre du Gymnase Jean Sturm, bastion culturel de cette petite-bourgeoisie libérale et fascinée par le mythe du « capitalisme rhénan » et ses prétendus valeurs « humanistes » et aujourd’hui « écologistes ».
C’est cette conformité culturelle qui donne aux prétentions de la petite-bourgeoisie entreprenante régionale une certaine, mais fausse, diversité. Prenons le cas de Strasbourg. On voit ainsi se présenter aux élections municipales Alain Fontanel, une figure du PS local, fortement « radical-socialiste » sur la ligne portée par François Hollande. Cette personne est passé aujourd’hui à LREM, et il est donné favori pour ces élections.
Face à lui, le PS local pour sauver la face ne peut plus qu’aligner qu’une figure dépassée comme Catherine Trautmann, qui dit d’ailleurs presque la même chose. Même flou, même ligne pour l’autre liste, issue de la même majorité précédente elle aussi et de la même matrice culturelle, autour de la candidate EELV Jeanne Barseghian, soutenue par le PCF et quelques organisations locales de gauche. Cela dans une ambiance de pur opportunisme et de calcul électoraliste sans envergure, sans réel travail sur le terrain. La liste de Jeanne Barseghian entend opposer à LREM un programme d’écologie « sociale », marquée par des positions post-modernes, donc forcément anti-populaires, qui ne risque pas de se démarquer de manière significative de celui de ses opposants. C’est sans doute d’ailleurs la raison pour laquelle cette dernière laisse le PCF développer son thème de la « gratuité » des transports, sans produire bien sûr aucun engagement ni même aucune campagne populaire dans ce sens.
Le panorama est tout aussi déplorable à Mulhouse, malgré une apparente mais fragile affirmation d’union de la Gauche, autour de la liste Cause Commune et avec un candidat de Lutte Ouvrière, un peu moins faible ici qu’ailleurs, Julien Wostyn.
Ce que l’on voit donc surtout, c’est l’étau qui traverse notre pays, entre un libéralisme post-moderne forcément diversifié et un nationalisme de plus en plus affirmé, qui trouve en Alsace un écho plus fort encore qu’ailleurs en France. La conquête par le FN/RN des classes populaires y a ainsi commencé plus tôt, dès la fin des années 1980 et avec plus de force malheureusement. L’Alsace constitue en effet un terrain propice à l’offensive néo-gaulliste du RN : autant les thèmes sociaux-nationalistes y trouvent un écho, notamment dans les banlieues et les villes ouvrières, que les thèmes identitaires anti-mondialisation dans les campagnes rurales, notamment celles organisées autour de l’élevage dans le nord et le sud de la région.
Il faudra donc ici accorder une attention significative à la capacité du RN a s’imposer à la Droite dans le cadre de ses élections, les seules où jusqu’à présent les scores du FN/RN décrochaient en raison de la faible implantation territoriale de ce parti en Alsace, en dépit de ses scores élevés par ailleurs : en 2014, le FN/RN n’avait ainsi pu constituer que 11 listes pour un total de 904 Communes en Alsace. Ce parti ne semble pas en mesure de faire beaucoup mieux cette fois-ci encore, mais il compte néanmoins développer sa présence, y compris par des alliances ou de l’entrisme, au moins par consolider ou développer sa base électorale, dangereusement large.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire pour la Gauche en Alsace dans le cadre de ces élections municipales par exemple sur la question de l’agriculture, l’utilisation massive des pesticides dans les zones viticoles, la question des déchets industriels et nucléaires notamment, la question des animaux avec l’ignoble laboratoire de test de Hausbergen et le soutien à la production de foie gras. Il y aussi la question bien sûr de la pollution de l’air, notamment dans la ville de Strasbourg, où le taux des AVC des moins de 30 ans a littéralement explosé ces 20 dernières années. La question aussi des soutiens municipaux aux bastions scolaires de la bourgeoisie, comme notamment à l’emblématique Gymnase Jean Sturm à Strasbourg, ou à l’Institution Saint Jean à Colmar ou encore à l’école Jeanne d’Arc à Mulhouse. Tout cela permettrait d’affirmer autant de lignes rouges face aux libéraux post-modernes de tout bord comme face à la démagogie des nationalistes.