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La faillite de l’idéalisme européen face au Covid-19

L’Union européenne est d’abord un marché commun, mais elle repose aussi sur un idéalisme fort consistant en le rêve d’une coexistence transnationale et d’une puissance collective. Face à une crise majeure comme celle que nous vivons actuellement avec le Covid-19, tout l’édifice s’effondre et ce sont les enjeux nationaux qui priment logiquement.

La situation est rude, c’est celle d’une faillite. L’Union européenne n’a pas été en mesure de lancer des achats groupés pour les masques, les sur-blouses, les gels hydroalcooliques, etc., alors qu’une procédure le permettant avait pourtant été mise en place suite à la crise de la grippe A (H1N1) il y a dix ans.

Les ministres des finances des pays de l’Union européenne sont parvenus malgré tout à un accord jeudi soir consistant en une série de mesures pour 500 milliards d’euros. Là aussi, ce n’est qu’une façade masquant des tensions très profondes.

Rien que cette réunion des ministres des finances, aboutissant à un accord jeudi soir, a en fait été précédée d’une première réunion en début de semaine qui avait été catastrophique. Les ministres des finances s’étaient écharpés pendant toute une nuit, en commençant à 16h mardi pour ne finir qu’à 8h du matin mercredi sans aucun accord, certain s’endormant même devant leur écran de téléconférence, d’autre s’éclipsant pour des coups file en apartés, etc.

Ce sont les Pays-Bas qui ont endossé le rôle du pays contestataire, refusant de payer pour les autres. En réalité, la position hollandaise est portée de manière bien plus large et n’a rien de nouvelle. En février déjà, lors du sommet européen extraordinaire consacré au budget de la période 2021-2027, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte était venu avec une pomme et une biographie de Chopin. Il expliquait aux journalistes que c’était pour tromper l’ennui, car il n’y avait « rien à négocier », refusant par la suite d’être séparé des représentants danois, autrichiens et suédois, sur la même position que lui.

Ces tensions se sont exacerbées depuis le début de la crise sanitaire, paralysant toute possibilité d’action et d’organisation commune. On a ainsi des « nordistes » adaptent de la rigueur budgétaire refusant de payer pour les « latins » et leurs dettes abyssales, leurs infrastructures mal gérées et leurs populations indisciplinées.

Le contraste est saisissant en effet entre une Allemagne où, avec un part du budget moindre, le système de santé encaisse assez bien le choc et la France où, malgré d’immenses moyens, les places en réanimation sont trop peu nombreuses et les hôpitaux doivent recruter à la hâte des étudiants, des infirmières libérales ou des médecins d’autre secteurs. C’est la même chose pour les tests, massifs en Allemagne, mais en pénurie en France, en Italie. Pareil encore pour les masques, introuvables chez nous, alors qu’en Autriche ils sont distribués gratuitement quand on fait ses courses en supermarché.

On a donc une Union européenne disparate, avec des particularités non pas simplement régionales, mais relevant de toute une culture, de tout un état d’esprit national propre à chaque pays… et bien entendu à la situation du capitalisme. Les idéalistes européens ont cru, ou prétendu croire, qu’il suffisait de faire sauter les barrière douanières pour les marchandises, pour que les populations suivent et s’unissent, que l’Union européenne prenne le dessus.

En réalité, ce sont au départ les États-Unis qui ont poussé à l’unité ouest-européenne et désormais c’est l’Allemagne qui a le dessus… Au grand dam par exemple d’un Jean-Luc Mélenchon, un social-chauvin revendiqué qui veut que ce soit la France qui prime.

Et avec la crise, cette unité par en haut vacille ou en tout cas témoigne que les puissants font ce qu’ils veulent. L’exemple le plus marquant est celui de l’absence de « coronabonds » ou « eurobonds ». Cela consisterait à mutualiser de la dette entre tous les pays européens, en souscrivant des obligations européennes sur les marchés financiers. La France est pour, l’Italie imagine difficilement s’en sortir sans cela tellement le pays est endetté, mais les pays aux budgets plus équilibrés ne veulent logiquement pas en entendre parler, à commencer par l’Allemagne.

Un pays, une nation, est capable d’assumer collectivement (de manière démocratique ou non) une dette. Une union d’échange commerciale ne le peut pas et l’Union européenne apparaît de plus en plus comme n’étant rien de plus que cette union commerciale, ce grand marché commun sans frontière pour les marchandises… ou bien une utopie réactionnaire au service d’une puissance majeure, en l’occurrence en ce moment l’Allemagne.

Il est bien connu que la ligne d’Emmanuel Macron est de coller à l’Allemagne. Mais le moteur franco-allemand qui porte cette union commerciale se fait de plus en plus faible, de moins en moins puissant. Les compromis sont de plus en plus difficiles à obtenir et de plus en plus coûteux.

En l’occurrence, la France, à l’idéologie profondément keynésienne, pousse pour un « plan de relance », mais les libéraux plus stricts ne peuvent accepter que soit dépensé de l’argent sans contre-partie derrière, ce que l’Italie considère comme une entorse à sa souveraineté, etc. L’Allemagne a accepté un compromis cette semaine, poussant les Pays-Bas à reculer, mais cela reste très fragile et surtout, peu contraignant pour les économies les plus solides et peu efficace pour les capitalismes plus faibles.

Le ministre hollandais ayant de toutes manières tenu à préciser :

«Ce qui a été décidé nous convient. Mais pour chaque euro du MES [mécanise européen de solidarité] qui sera dépensé sur l’économie, les règles normales de la conditionnalité devront pleinement s’appliquer».

L’Union européenne sortira très affaiblie de la crise sanitaire actuelle et aura bien des difficultés à affronter collectivement la crise économique qui va suivre. Au milieu de tout cela, la France apparaît de plus en plus comme un maillon faible, de par notamment son incapacité à considérer réellement la crise, à envisager que tout puisse s’effondrer.

Gageons que la fin de l’idéalisme européen agisse comme un électro-choc en France, poussant à la prise de conscience… et pas dans un sens chauvin. La Gauche a un défi face à cette crise sanitaire, cette crise du capitalisme : comment échapper au Charybde du nationalisme autoritaire et au Scylla libéralisme libertaire pour qui il faut tout continuer comme si de rien n’était ?