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Réflexions

Une page d’Histoire qui s’écrit et qui attend ses artistes pour la conter

Nous vivons une page d’Histoire. Mais est-ce un aléa dans un mouvement plus profond, ou bien sommes-nous en plein dans l’équivalent de la chute de l’empire romain ? Et si c’est la chute d’une civilisation, où sont nos artistes pour la conter ?

« Wu Shixian, Village au bord du fleuve avant la pluie, 1912 »

Pour beaucoup, la crise sanitaire actuelle est temporaire. Elle est grave, mais elle n’est qu’un accident dans quelque chose de plus large, de plus profond. C’est là une profonde illusion. Cette crise sanitaire n’est pas dans l’Histoire, elle est l’Histoire. Et il ne faut pas raisonner en semaines, ni même en mois, mais en années. Ce qui s’écrit là, c’est la fin, ainsi un début.

La fin de quelque chose d’équivalent à l’empire romain, mais à un autre niveau, une autre qualité. Un moment de transition, non pas délicat et accompagnateur, mais violent et en rupture. Un moment qu’on ne choisit pas, qui s’impose, et qui s’impose à tous. De par l’ampleur de l’époque, cela est même vrai à l’échelle de la planète. Cela fait peur et cela rassure.

Cela fait peur, car les gens ne sont pas prêts et ne veulent pas l’être. Cela rassure, car cela fait trop longtemps que le capitalisme engloutit la planète et que rien ne vient stopper cette machine destructrice. Quel terrible faillite d’ailleurs que cela ne soit pas la sagesse humaine qui soit venue s’interposer avec l’engloutissement de la nature. Mais sans doute était-ce inévitable de par l’engourdissement des esprits dans un capitalisme hypnotiseur.

Reste qu’on voit mal comment les plus de vingt ans vont être, d’une manière ou d’une autre, à la hauteur des immenses transformations nécessaires. Les plus de soixante ans savaient déjà que le monde allait dans le mur, mais ils considéraient qu’après eux, le déluge. Ceux entre vingt et soixante ans ont cherché surtout un plan de carrière, faisant confiance à l’efficacité des entreprises, à la vigueur du capitalisme.

Quel désenchantement c’est aujourd’hui pour le trentenaire ingénieur, social dans l’esprit mais parcimonieux dans les faits, ouvert au changement mais lui-même toujours changeant, découvrant que tout son univers n’a, finalement, aucune base, aucune dynamique, aucune valeur, que tout cela est vain ! Quelle misère morale pour celle, mariée trop tôt, enfermé dans un carcan anti-féministe qu’elle a elle-même choisi en pensant le maîtriser, et voyant ses certitudes si chèrement acquises n’être qu’illusion !

Il y a ici un nombre immense de profils à étudier, à cataloguer, pour en dresser le portrait à la Balzac, pour raconter la fin d’une époque, la fin d’une société, littéralement l’effacement de personnalités types, de figures sociales stéréotypées. Un monde agonise, un autre laisse entrevoir sa nature, foncièrement collective – que dit-on là, non pas collective, mais collectiviste ! Le 21e siècle sera collectiviste ou ne sera pas.

Les artistes pessimistes ne peuvent plus basculer dans le cynisme : ils sont obligés de convertir leur dépression dans un sens positif, pour annoncer la nouvelle ère qui s’ouvre. Et ce n’est pas du lyrisme. Seuls les prisonniers du capitalisme peuvent encore croire en un grand rétablissement. Seuls les aliénés peuvent ne pas voir que le mot de nature va reprendre ses droits, que désormais l’humanité va changer et que les êtres humains vont être nouveaux.

Les artistes doivent être en première ligne pour conter cela, pour raconter le grand retour au réel d’une humanité partie dans de vains rêves de toute puissance consommatrice, de réduction de l’esprit à une utilisation de marchandises, d’une destruction des sentiments – notamment l’amour – au profit d’un pragmatisme égocentrique.