Jean-Christophe Cambadélis, figure historique de la Gauche – il a été à la tête de l’Unef-ID et premier secrétaire du Parti socialiste – a publié une longue lettre sur la Gauche de demain. Mais il croit que le monde de demain sera le même.
Jean-Christophe Cambadélis est l’un des observateurs les plus précis et techniques de ce qui se passe en France, aussi faut-il accorder son attention à sa lettre à un ami de gauche. Il y reprend ses thèses de 2017 pour un « nouveau progressisme » et prône une gauche « girondine », c’est-à-dire, pour traduire cela de manière contemporaine, non centralisatrice et rétive aux démarches autoritaires.
Cela est d’autant plus étrange que lui-même avoue qu’une nouvelle époque s’ouvre :
« Le siècle commence aujourd’hui, comme le précédent avait débuté avec l’assassinat le 28 juin 1914 de l’archiduc François Ferdinand de Habsbourg ouvrant un siècle de guerres, de révolutions ou de décolonisations. Les siècles s’ouvrent toujours sur des drames. Car l’histoire humaine est dramatique. »
Seulement, pour Jean-Christophe Cambadélis, qui est qu’on le veuille ou non corrompu par le capitalisme, rien ne peut vraiment changer. Ainsi, si le gouvernement actuel échoue, alors forcément ce sera au tour de la Gauche si elle se présente comme assez crédible :
« La gauche peut pour une fois penser le monde et ne pas seulement le panser. L’Homme, l’intérêt commun, devient l’espace d’un instant supérieur à l’économie et la société marchande. Et, pour la France confinée, l’échelle des valeurs a changé. »
Jean-Christophe Cambadélis est pourtant tout sauf un naïf alors comment peut-il penser quelque chose d’aussi basique ? C’est que son raisonnement est, comme à son habitude, subtil, très subtil, trop subtil. On a ici le même machiavélisme que chez Jean-Luc Mélenchon, avec une tradition trotskiste de calculs de rebonds par la bande à n’en plus finir.
Ce que veut dire simplement Jean-Christophe Cambadélis, c’est qu’il faut réussir justement ce que Jean-Luc Mélenchon n’est pas réussi à faire : établir une proposition suffisamment construite pour dépasser les concurrents.
En se la jouant « mesuré » et gestionnaire, avec un humanisme bon teint, cela suffira à dépasser toutes les autres tendances politiques :
« National-populiste, libéral-autoritaire, libéral-libertaire, gaullisto-souverainiste, écolo-libéral ou écolo-rupturiste, gaucho-populiste, les offres ne manquent pas.
La gauche doit, elle, proposer son nouvel axe : elle doit se présenter avec son nouveau drapeau. La social-démocratie attendait les dividendes de l’État providence. La nouvelle gauche doit mettre l’intégrité au cœur de la production du marché et des échanges. »
Cela ne tient bien entendu pas debout. Car soit il a tort et à ce moment-là le chaos qui va s’installer va amener à une polarisation où il sera enfin parlé de capitalisme, terme que Jean-Christophe Cambadélis s’évertue à ne jamais employer (à part pour dire une seule fois « le système capitaliste libéral s’arrête ; le confinement est mondial »).
Soit il a raison mais alors avec ce concept de « gauche de l’intégrité humaine » autant assumer de défendre la position de Benoît Hamon, qui dit la même chose depuis plus longtemps, ou bien François Hollande pour une version plus édulcorée.
Et puis quel sens y a-t-il pour Jean-Christophe Cambadélis à parler de « l’Euro-Méditerranée » qui serait « nécessaire à une Euro-Afrique », franchement ! C’est là de la « géopolitique » qui ne fait même pas semblant d’assumer les velléités impériales françaises.
On a connu Jean-Christophe Cambadélis plus inspiré. Mais sa source d’inspiration s’est tarie, car le terrain a totalement changé et ce n’est plus le sien. Sa mise en perspective est trop calme, trop posée, trop mesuré, pour ne pas être en total décalage avec l’Histoire. Dire comme il le fait qu’une ère nouvelle s’ouvre et se contenter de dire qu’il va suffire de réguler le marché sur la base de l’intégrité humaine, c’est flou, idéaliste, abstrait, hors-sol.
Et ce n’est pas de Gauche. Le mouvement ouvrier nomme les choses comme elles sont. Qui fait tout pour ne pas parler du capitalisme et de la bourgeoisie avait tort ; avec la crise actuelle, il a encore plus tort. Tout s’effondre, la nature subit des assauts toujours plus majeurs, les capitalistes vont faire payer la crise aux travailleurs, et il faudrait penser qu’une Gauche néo-gouvernementale pourrait rétablir le monde d’avant, qui par ailleurs était odieux ?
C’est invraisemblable.