En mettant de côté la religion lors de la première vague de déconfinement, l’État français provoque une crise terrible. C’est surtout vrai pour l’Église catholique, pour qui le dimanche a une dimension mystique essentielle, que l’État ne comprend d’ailleurs même plus.
Le grand compromis entre l’État et les religions – la laïcité – est très puissamment ébranlé par le refus d’intégrer les lieux de culte dans le déconfinement. Ce qui compte, c’est évidemment l’économie capitaliste. Peu importe les croyances.
Il ne s’agit nullement ici de faire de l’anti-cléricalisme primaire, comme le font les anarchistes, l’ultra-gauche en général. La religion ne disparaîtra pas : elle s’éteindra, quand les croyants comprendront que ce en quoi ils croient n’est en réalité qu’une puissante réflexion sur la réalité qui a été déviée vers le ciel.
Il y a ainsi beaucoup de dignité dans les croyances religieuses et il faut bien dire dans les croyances, pas dans les rites, les croix en pendentifs, les hidjabs ou les kippas. Lorsque les religions parlent de la réalité, elles parlent de manière déformée. Il y a de l’idée, mais accepter pour autant tous les fétiches réactionnaires… ce n’est pas possible.
Tout cela demande évidemment beaucoup de culture et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, est dépassé, parce que la bourgeoisie décadente, passé dans l’ultra-modernité, ne comprend tout simplement plus rien à part ce qui relève, au sens strict, de l’accumulation de richesses.
Invité du Grand Jury sur LCI dimanche dernier, son propos a depuis fait scandale :
« Je pense que la prière elle se fait dans un rapport à celui que l’on accompagne, célèbre, chacun choisira le mot en fonction de sa religion et soi-même, et n’a pas forcément besoin de lieu de rassemblement où on ferait courir un risque à l’ensemble de la communauté religieuse. »
Christophe Castaner s’imagine ici qu’une personne religieuse peut ainsi être indifféremment statique ou itinérante, que la notion de lieu consacré relève du moyen-âge, que le principe communautaire – une clef du succès religieux – n’a aucun sens pour les gens.
Il prouve ici une méconnaissance de la question assez impressionnante (et cela d’autant plus qu’en tant que ministre de l’Intérieur, il est aussi ministre des cultes). Surtout que la France a comme principale religion le catholicisme romain. Or, dans cette religion, Dieu est vraiment présent le dimanche dans la cérémonie religieuse, ce n’est pas symbolique comme chez les protestants. Naturellement Dieu n’est pas du tout présent, puisqu’il n’existe pas, mais pour les croyants il y a une alliance entre Dieu et le monde par ce qu’on appelle l’eucharistie. Sans eucharistie, le monde est entièrement perdu.
Citons ici Matthieu, qui raconte ce passage célèbre :
« Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le donna aux disciples, en disant: Prenez, mangez, ceci est mon corps. 27Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; 28car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés. 29Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. »
Les protestants répètent cet épisode symboliquement, la prohibition de l’alcool chez eux, très présente culturellement historiquement, s’appuie sur le dernier propos de la citation. Pour les catholiques par contre, quel que soit leur courant de rattachement, tout cela reprend réellement forme dans l’Église chaque dimanche.
C’est par l’eucharistie que dans le monde, les Hommes sont frères. S’il n’y a plus d’eucharistie, tout est perdu.
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Bien entendu, on n’a pas à y croire. Mais comment ne pas voir l’immense dignité qu’il y a dans une telle vision des choses ? Des figures sociales du catholicisme ont en ce sens publié une tribune au titre ironique, « Rouvrir les églises, pour quoi faire ?», sur le site du journal La Croix, qui n’est pas accessible gratuitement, par manque de charité chrétienne. On y lit notamment :
« Se retrouver en communauté est constitutif de la foi ? Mais pour rendre quel culte, à quel Dieu ? Dans l’eucharistie, les chrétiens font mémoire de la mort et de la résurrection du Christ. Et du don de sa vie. Dans un même élan, ils s’engagent à donner la priorité absolue au service du frère. Il s’agit de conjuguer « intériorité et engagement »,« lutte et contemplation »… »
Cela est tout à fait juste : dans une crise sanitaire, qui apporte la mort, il faut croire en la vie. Il y a beaucoup de dignité dans tout cela et le balayer d’un revers de la main, comme le fait le gouvernement, est la négation de tout un sentiment populaire, humain par excellence.