La chute de l’union soviétique en 1991 s’est accompagnée d’une vague de brutalité et d’une corruption massive, étouffant la société toute entière. Née dans les années 1990, la génération qui a franchi sa vingtième année dans les années 2010 est marquée par une enfance socialement et moralement troublée.
C’est l’essor d’un capitalisme russe issu de l’ancien appareil militaire d’État, s’appropriant tout ce qu’il peut, notamment en priorité la rente gazière et pétrolière, et laissant prospérer des activités décadentes auparavant réprimés (comme par exemple la banalisation de la prostitution, des drogues…).
Dans cette ambiance de déliquescence culturelle, PPK, un groupe de musique électronique très actif entre 1999 et 2003 et entre 2010 et 2011, a joué le rôle d’incubateur d’un style combinant une esthétique rétrofuturiste nostalgique de l’URSS, essentiellement abordée à travers la conquête spatiale, à des mélodies de synthétiseurs surfant sur la cold wave anglaise des années 1980.
Dans les années 2010, la génération née dans les années 1990 s’est appropriée ce style culturel donnant lieu à une grande vague musicale nommée la « soviet wave », un mélange de post-punk, de cold wave et de musique électronique fondée sur la nostalgie de l’URSS.
Il y a une progression de ce phénomène dans les grandes villes de Russie mais aussi dans l’ancienne ère soviétique (Ukraine, Lettonie…), que l’on trouve dans les très nombreuses playlist de « doomer music », le mouvement s’élargissant au-delà, avec par exemple le groupe italien « Soviet soviet ».
Un « doomer » (traduire par « condamné ») est une jeune personne précaire qui sombre dans une profonde tristesse sans pour autant tomber dans la violence misogyne des « incels ». Il est plutôt découragé, bloqué par une mélancolie existentielle, mais sans développer une rancœur. La « soviet wave » est une expression directe de l’état d’esprit « doomer » d’une génération Z, née après 1997, qui ne se reconnaît ni dans la ringardise des « boomer » (génération papy-boom) ni dans l’optimisme naïf des « bloomer ».
Il y a là un phénomène musical et culturel très intéressant à saisir dans le contexte de la société russe post-soviétique dominée par une oligarchie rentière anti-démocratique, et dans laquelle la jeunesse cherche, tant bien que mal et sans y parvenir, une nouvelle perspective pour l’avenir.
Voici la playlist :
Voici les titres de la playlist :
- Nürnberg – Adny (Minsk)
- дурной вкус – пластинки (Mauvais goût – Enregistrement / Saint Pétersbourg)
- Ploho – Город устал (« La ville est fatiguée » – Novorsibrisk)
- Где Фантом? – Это так архаично (Où est le fantôme ? –C’est tellement archaïque / Oufa)
- Molchat doma – Volny (Maisons silencieuses – Vagues / Minsk)
- Перемотка – Стреляй (Rembobiner – Tirer/Chasser / Yekaterrinburg)
- Стыд – Одинокий гражданин (Honte – citoyen solitaire / Tomsk)
- Nürnberg – Biessensounasc
- PXWLL – Лето (été, Riga, Lettonie)
- Улица Восток – Дурак (Vostok street – Fool / Kiev)
- Soviet soviet – Ecstasy