La vie de la société française, depuis des dizaines d’années, est particulièrement réglée, routinière. Le Tour de France est l’événement qui marque le début de l’été, dont on entend parler même si on ne le suit pas vraiment, qui entonne une petite musique de fond, cette musique qui dit en générale quelque chose d’agréable.
Le Tour, c’est souvent une histoire entre les grand-parents et leurs petits-enfants, ce sont des après-midi calmes dans le salon, au frais, à scruter le pays en se laissant bercer par l’allure routinière des coureurs, qui avalent les kilomètres avec la rigueur de l’ouvrier, sans en faire trop, ni trop peu. Puis vient le 14 juillet, en général avec une étape de montagne particulièrement alléchante. Sportivement, c’est là où la course s’emballe, où les jeux se font. On passe alors à autre chose et l’on rentre dans l’été pour de bon.
Quelque chose a été rompu dans la société française avec la crise sanitaire (et il en est probablement de même dans beaucoup de pays). Ce 14 juillet sans « étape de montagne du Tour » donne un goût étrange à l’été. C’est comme s’il n’avait pas lieu et, d’une certaine manière, il n’a pas vraiment lieu.
Le printemps a été gâché par le confinement, puis la sortie hasardeuse du confinement. L’été semble, lui, confisqué. Le président Emmanuel Macron a d’ailleurs probablement fini de casser l’ambiance en étant contraint d’annoncer, finalement, que le masque allait être obligatoire dans les lieu publics clos.
Si la France avait cru pouvoir échapper à la crise, en faisant somme toute comme si le virus n’était plus là, c’est la crise qui rattrape le pays. « Nous avons des signes que ça repart quand même un peu » a expliqué le président dans son allocution du 14 juillet, en jouant de la litote pour ne pas trop affoler, tant il sait que ce qu’il dit est affolant.
C’est affolant sur le plan sanitaire évidemment, car personne ne veut de milliers de morts supplémentaires. C’est affolant surtout pour toute cette « bulle » de la société de consommation depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui recommence chaque année la même chose, dans un version censée être mieux quantitativement, sans esprit qualitatif.
Ce n’a jamais été entièrement faux d’ailleurs et il faut bien reconnaître que chaque année le Tour de France était toujours plus agréable à suivre, avec la télévision, puis la télévision couleur, puis les images d’hélicoptères, puis l’incrustation d’informations en direct, pour les images en haute définition. Rien ne semblait pouvoir ébranler cet éternel recommencement, pas même les scandales à répétition concernant le dopage.
Et voilà qu’une « gripette », comme l’avait honteusement qualifiée certains cet hiver, a fini de gripper la machine, qui était en fait déjà bien rouillée. Le Covid-19 marque un bouleversement d’une ampleur gigantesque, car c’est la fin de tout un tas d’illusions.
La rentée sera terrible, parce qu’il n’y aura pas eu vraiment d’été et surtout en raison d’une crise économique nouvelle, entièrement nouvelle, qui va finir le travail de sape du train-train quotidien. Le Tour de France, prévu pour septembre, s’il a lieu, aura dans ce contexte un goût très amer. De toutes façons, ce ne sera pas le Tour de France. Non pas seulement à cause des mesures empêchant le public d’approcher les coureurs, mais parce que le Tour, c’est le ronronnement de la France tranquille, vivant son éternel recommencement estival. Cette fois, tout change.