L’Armée française a annoncé mercredi 26 août 2020 mener des exercices militaires en Méditerranée orientale pendant trois jours. Les manœuvres visent ouvertement la Turquie dont le conflit avec la Grèce prend chaque jour une tournure plus guerrière, avec la France parmi les belligérants.
La ministre des Armées Florence Parly a annoncé que trois avions Rafale, la frégate La Fayette et un hélicoptère français prennent part à un exercice commun avec l’armée de Grèce en Méditerranée orientale, du mercredi 26 août au vendredi 28 août 2020. Les armées italienne et chypriote sont également concernées par l’opération dans les eaux situées entre la Crète et Chypre, précisément là où la Turquie a un navire prospectant des hydrocarbures.
Quelques jours plus tôt, la Grèce émettait un télex de navigation (Navtex) annonçant des manœuvres dans cette zone. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan y a répondu de manière très hostile :
« L’émission d’un Navtex par la Grèce n’est autre qu’un acte irresponsable menaçant la sécurité de tous les navires présents dans la région ».
La Turquie considère que la Grèce n’avait pas le droit de l’émettre et s’est faite très menaçante, expliquant que ceux à qui elle sera confrontée devront « en assumer les conséquences ». La France est visée, sans la nommer ouvertement, en dénonçant le fait qu’elle pousse la Grèce à la guerre :
« Il serait bon pour la Grèce de prendre en considération que ceux qui la poussent devant la flotte turque, ne se montreront pas si un problème survient ».
C’est ainsi qu’on assiste à une escalade guerrière où la France répond à la Turquie en déployant sa force, assumant par là son appui militaire à l’armée grecque dans le cadre d’une « Initiative quadripartite de coopération (SQAD) ». Les manœuvres sont appelées « Eunomia », en référence à une déesse grecque dont le nom renvoie aux notions de justice, d’équité, de bon ordre.
Si la France prétend agir au nom du « droit international » comme l’a affirmé Florence Parly, il faut bien voir que le régime turc dit exactement pareil de son côté. La Turquie considère que ses provocations récurrentes contre la Grèce sont légitimes, sans par ailleurs que ni l’Allemagne, ni les États-Unis, ne le lui reprochent vraiment.
Mardi 25 août, le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas était à Ankara (après s’être rendu à Athènes) pour y prôner le dialogue, mais aussi pour réaffirmer la question de l’OTAN et donc de la superpuissance américaine dont dépend encore la Turquie. À ses côtés, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a expliqué que ce n’est pas son pays qui fait monter les tensions.
Il a affirmé que la Grèce devait renoncer à « jouer les gâtés » et que :
« Il ne faut pas que la Grèce se laisse entraîner par les pays [sous entendu la France principalement] qui souhaitent la jeter devant la flotte turque. Nous sommes voisins. Nous souhaitons un partage juste ».
Il suffit pour mieux comprendre la situation de regarder cette carte montrant les frontières maritimes (ZEE) selon la convention de Montego Bay de l’ONU en 1982 :
Comme on le voit, les eaux territoriales grecques couvrent toute la zone, notamment en raison de la petite île de Kastellorizo. La Turquie n’a jamais reconnu cette convention (à l’image de nombreux pays dont les États-Unis) et maintenant qu’elle sait qu’il y a d’importants gisements gaziers dans la région, elle y revendique activement ses frontières.
C’est la raison pour laquelle le navire Oruç Reis prospecte depuis plusieurs jours dans ces eaux, escorté par une flotte militaire. La France avait immédiatement réagi à cela en déployant de premiers exercices militaires communs avec la Grèce, comme avertissement à la Turquie.
On a depuis un embrasement continu. Il y a là une situation inextricable, avec des intérêts capitalistes qui se font face et sont prêts à toutes les escalades, comme l’histoire en a tant connu.
L’Armée française agit ici au nom du capitalisme français, qui a besoin d’une grande puissance militaire à défaut d’être encore une grande puissance économique et diplomatique, et alors que le groupe Total est potentiellement concerné par les ressources de la région.
Inversement, la Turquie agit de manière particulièrement provocatrice, poussée par les intérêts expansionnistes de son économie, elle-même portée par un nationalisme néo-ottoman très agressif depuis plusieurs années.
Le discours du régime turc est particulièrement virulent, comme ces propos ultra-provocateurs de Recep Tayyip Erdoğan ce mercredi 26 août 2020, à propos des tensions avec la Grèce :
« Ceux qui ne méritent même pas d’être les héritiers de Byzance aujourd’hui, se cachent derrière les Européens pour agir comme des pirates qui ignorent le droit. Il est évident qu’ils n’ont pas retenu les leçons du passé ».
Ces propos étaient tenus lors d’une célébration de la bataille de Manzikert en 1071, une défaite byzantine consacrant la montée en puissance de ce qui deviendra l’empire Ottoman et utilisée de manière nationaliste aujourd’hui par le régime turc.
De manière particulièrement martiale, il a également lancé lors de son discours (en direct à la télévision) :
« Si nous n’avons aucune visée sur les terres, la souveraineté et intérêts des autres, cela ne veut pas dire que nous allons abandonner ce qui nous appartient. Ceux qui se dressent contre nous et qui sont prêt en en payer le prix, nous les attendons. Sinon qu’ils se retirent de notre chemin.
Il faut désormais que tout le monde voit que la Turquie n’est plus un pays dont on peut tester la patience, la détermination, les moyens et le courage ».
C’est terrifiant. Pour autant, il ne faut pas être dupe de la communication de la ministre des Armées Florence Parly qui explique, en s’imaginant que le la France est une grande puissance :
« Notre message est simple : priorité au dialogue, à la coopération et à la diplomatie pour que la Méditerranée orientale soit un espace de stabilité et de respect du droit international. Elle ne doit pas être un terrain de jeu des ambitions de certains ; c’est un bien commun. »
La France n’est pas l’ONU, elle n’est qu’une grande puissance en déclin s’imaginant retrouver de sa superbe grâce à une confrontation avec la Turquie.
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La situation est extrêmement explosive et nécessite plus que jamais d’affirmer le pacifisme, c’est-à-dire l’opposition active à la guerre. La Gauche française doit dénoncer ici avec une grande vigueur les opérations militaires françaises en Méditerranée orientale, car elles mènent tout droit à la guerre. Une guerre qui relève de la course à la guerre générale avec en toile de fond l’affrontement sino-américain.