Il est la principale figure de la Gauche française de la seconde partie des années 1990, jusqu’à sa terrible défaite à la présidentielle de 2002. Lionel Jospin refait surface aujourd’hui avec un livre, mais il ne peut que constater les dégâts, c’est-à-dire l’effondrement de sa perspective politique. C’est le prix à payer pour avoir isolé la Gauche historique en réfutant la lutte des classes.
Lionel Jospin est un homme lucide. Quand il fut éliminé dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2002, il s’est immédiatement retiré de la vie politique, conscient de la dimension historique de son échec.
Il était alors à la tête du gouvernement depuis juin 1997 avec une large coalition. Son mandat fut celui de la modernisation du capitalisme français : réduction de la base légale du temps de travail à 35 heures hebdomadaires, « emplois jeunes », prime pour l’emploi, lois sur la parité homme/femmes et les « discriminations », épargne salariale, libéralisation du secteur public de l’électricité, PACS, extension de l’IVG, limitation du cumul des mandats, etc.
Tout cela a créé un élan à l’époque, avec une sympathie populaire indéniable. Toutefois, il n’y avait pas de fondement solide à cela, si ce n’est l’aspiration quasi hégémonique dans les classes populaires à devenir soi-même un petit bourgeois, voir un bourgeois tout court.
Les classes populaires peuvent céder à cette chimère, mais elles ne peuvent pas la porter elles-mêmes. Cela fait que, malgré la grande force électorale de la « gauche plurielle », Lionel Jospin ne disposait pas d’une réelle base populaire, capable de le porter historiquement.
Ainsi, la Droite l’a emporté facilement en 2002, avec un second tour où il a fallu voter pour l’immonde Jacques Chirac contre l’abject Jean-Marie Le Pen. Lionel Jospin s’est retrouvé dévasté alors, car sa réussite avait été en même temps son échec.
En tant que chef du gouvernement, il avait réussi à pacifier la société française comme jamais avec le mensonge d’un capitalisme équitable et indépassable. Le problème, c’est que quitte à croire en ce mensonge du capitalisme, il n’y a plus de raisons de croire en le Parti socialiste et ses alliés.
Tel est le terrible dilemme de la Gauche des années 2000, que François Hollande a cru pouvoir résoudre en 2012, alors qu’il n’a fait qu’enfoncer encore plus la Gauche.
Lionel Jospin est un homme lucide, ce qui fait qu’aujourd’hui en 2020, il constate encore l’étendu de son échec. Dans un long entretien à L’Obs à l’occasion de la sortie de son livre Un temps troublé, il montre très bien tout cela.
Quand il fait le constat très habile d’un pays « insatisfait, tendu et sceptique », il sait très bien que c’est là l’expression de l’échec de la Gauche, qui n’incarne plus rien en France. Bien sûr, il y a de l’amertume et il reste persuadé qu’il aurait fait mieux si son élection n’avait pas été confisquée (notamment par Christiane Taubira, faut-il le rappeler) :
« Si les choses avaient tourné autrement, nous aurions peut-êtres servi notre pays mieux que cela n’a été fait ».
Il faut bien remarquer cependant que la critique est très molle, car il sait très bien qu’il s’agit avant tout de son propre échec à incarner quelque chose. La preuve de cela, c’est que Lionel Jospin n’a absolument rien à dire aujourd’hui, il n’a strictement rien à apporter au débat en 2020.
Ses propos sont d’un vide incroyable pour celui qui était censé avoir le rang d’un François Mitterrand, voire plus tant les défis historiques du 21e siècle s’annonçaient déjà en 2002 comme immenses.
Lionel Jospin n’a rien à dire, car la seule chose censée qu’il pourrait dire, ce serait de reconnaître que ce fut une erreur d’isoler la Gauche historique en réfutant la lutte des classes. Ce serait reconnaître que c’était là courir tout droit à la catastrophe en s’aliénant les classes populaires, qui en matière de capitalisme préfèrent finalement les originaux plutôt que leurs copies version « bourgeoisie de gauche ».
Mais Lionel Jospin ne le fait pas, il préfère croire, ou feindre de croire, que le marxisme appartient au passé :
« Le marxisme était centré sur la lutte entre les classes sociales. L’écologie a dévoilé les effets désastreux de l’action des hommes sur leur milieu naturel, la Terre. »
Ce ne sont pas les hommes en général qui décident pourtant des choix effectués… Ce ne sont pas des hommes en particulier non plus d’ailleurs, mais le capitalisme qui décide pour les hommes en général, par l’intermédiaire de quelques uns. Lionel Jospin le sait très bien, mais il préfère se voiler la face plutôt qu’admettre que l’époque est au retour de la Gauche historique, de la grande utopie socialiste avec la bataille contre la bourgeoisie.
On oubliera très vite cette fausse gauche des années 1990, 2000 et 2010, dont l’insipide Lionel Jospin a été la seule véritable figure.