Au XVIIIe siècle, il y avait encore des dizaines de milliers de loups en France. Mais avec le triomphe général de la bourgeoisie à la fin du XIXe siècle, l’extermination de cet animal fut décrétée.
L’obsession de la traque du loup remonte à loin. Au IXe siècle, entre 800 et 813, Charlemagne fondait déjà l’institution chargée de les chasser : les lieutenants de louveterie. Toutefois, c’est à l’époque du capitalisme triomphant que l’espèce a été exterminée.
Évalués en France à encore plusieurs milliers d’individus à la fin du XIXe siècle, objet de fantasme d’horreur autant que responsables de dégâts sur les cultures agricoles, le loup devait passer sous le rouleau compresseur de l’administration bourgeoise.
L’histoire de la IIIe République (1870-1940), c’est l’histoire de l’alliance entre la bourgeoisie libérale des villes et des paysans propriétaires des campagnes contre le mouvement ouvrier et le socialisme et c’est dans ce cadre politique qu’il faut comprendre l’extermination complète des loups.
En 1875, le journal L’Avenir Républicain, dont le nom trahit son orientation politique, fustigeait la SPA fondée en 1845 dont une partie de « philosophes profonds et mystiques » :
« ils veulent conserver tous les carnassiers : ours, loups, renards, fouines, éperviers, d’abord parce que ce sont des créatures de Dieu ! et ensuite par ce qu’ils détruisent les rats, les souris, les taupes. Ils veulent conserver les taupes parce qu’elles détruisent les insectes ; ils veulent conserver les insectes parce qu’ils se détruisent entre eux; mais ils veulent que cette destruction se borne à quelques individus qui se trouvent de trop, et que la race soit maintenue. »
La SPA avait en effet ici une approche relevant de la croyance religieuse, quoi qu’elle anticipait, sans le savoir, la compréhension scientifique de Planète comme Biosphère, où chaque espèce est inter-dépendante formant une dynamique générale.
Il faudrait également mentionner le pasteur lyonnais Georges Blot qui en 1907 rappelait dans un « plaidoyer pour les loups » leur filiation avec le chien, décrivant les choses avec une grande sensibilité :
« Mais le loup, que lui avons-nous fait ? De quelle infamie humaine a-t-il été victime ou témoin pour qu’il ne veuille plus, lui, nous tendre la patte ? (…)
L’homme a choisi, voilà tout. Oui, l’homme a choisi ; mais comment ? Là est la question ! Sans doute comme font les forts, en renvoyant d’un coup de pied ou d’un coup de pierre, le méprisé. Alors, dans son cœur de bête déjà ulcéré, peut-être par ce que son frère (le chien) était plus beau que lui, mieux tacheté, mieux fourré, plus gracieux ou plus habile à plaire, le loup sentit la jalousie, la haine devenir implacables ! »
Les défenseurs du loup étaient toutefois bien trop dénigrés pour être soutenus, d’autant plus que les argumentations mystiques les isolaient à la fois de la classe ouvrière, profondément anti-cléricale, que de la bourgeoisie républicaine.
Ainsi, le 12 juin 1880, Pierre Tirard, ministre de l’agriculture, déposait un projet de loi sur « la destruction des loups » dans laquelle il était proposé de relever les primes pour la chasse de l’espèce sauvage.
Les primes instaurées sous le Directoire (1795-1799) étaient devenues trop faibles pour espérer une extermination rapide. Le projet de loi relevait donc les primes à 200 francs s’il est prouvé que le loup a tenté d’agresser un humain, à 100 francs par loup ou louve « non pleine », à 150 francs par louve pleine et à 40 francs par tête de louveteau.
L’idée était également de contourner les lieutenants de louveterie, marqués par la culture monarchiste et plus tournés vers la traque « loisir » que vers l’élimination minutieuse et totale de l’espèce. En plus, cela ne pouvait que renforcer le soutien des petits paysans à la bourgeoisie républicaine.
Le 30 août 1880, le journal régional La Mayenne saluait la mesure et forçait même le trait en liant protection des agriculteurs et défense patriotique :
« Les loups qu’il s’agit en effet de détruire sont, pour la plupart, des envahisseurs qui ont passé la frontière en 1870, à la suite des armées allemandes.
Voilà de quoi, nous l’espérons, donner du cœur au ventre aux tueurs de loups. La Société d’agriculture l’a dit, c’est une question d’humanité. Nous ajoutons, nous : c’est une question patriotique. Donc guerre aux loups, sus aux loups ! »
C’est dire comment la destruction du loup à cette époque était liée à la culture militariste et à l’esprit revanchard nationaliste anti-allemand. Le 3 août 1882, la loi sur la destruction du loup était adoptée.
Et cela va fonctionner à plein régime, avec des pratiques d’une très grande cruauté. Des louves étaient surveillées afin de tuer les louveteaux dès leur naissance, que cela soit par étouffement ou par empoisonnement à la strychnine. En août 1913, le « Journal des débats politiques et littéraires » annonçait que 2 344 loups avaient été tués pour la seule année de 1882, et près de 8 000 entre 1883 et 1894.
La population de loups en France a ainsi été exterminée en l’espace d’une décennie, et cela du fait même de l’engouement général des populations des campagnes pour l’anéantissement du-dit « nuisible ».
Cela si bien qu’en janvier 1940, « le petit Journal » pouvait affirmer que l’éradication du loup n’avait pas été le fait des chasseurs professionnels, les « lieutenants de louveterie », mais par ce qu’il appelle de manière générale la « grande gargamelle » :
« Il faut reconnaître que les loups ont aujourd’hui disparu de nos campagnes, on le doit bien plutôt à l’action de la Grande Gargamelle et de ses émules qu’à celle des veneurs qui chassaient à cor et à cri. Le système de la prime est le plus efficace. (…)
La race dès loups est à peu près éteinte chez nous. Sans la tradition administrative qui maintient toujours là fonction de lieutenant de louveterie — laquelle, d’ailleurs, ne coûte rien au Trésor — qui songerait seulement qu’il y a eu naguère, dans nos campagnes, tant de bêtes malfaisantes qui dévoraient les moutons, et même, à l’occasion, les femmes et les petits enfants ? »
La « Grande Gargamelle » faisait référence au personnage éponyme du roman « Gargantua » écrit en 1534 par le grand classique de l’époque de l’Humanisme français, François Rabelais. « Gargamelle » était l’épouse de « Grandgousier » avec qui elle enfanta « Gargantua ». Ces personnages représentaient une famille de seigneurs mangeant salement et ne respectant aucune bien-séance à table.
Si dans l’esprit de François Rabelais, c’était une manière de critiquer de manière habile et humoristique le manque de raffinement de la classe dominante (seigneurs) de son époque, cela désigna ensuite de manière péjorative les personnes rustres des campagnes.
Ainsi, cette tranche d’histoire doit-elle se comprendre en lien avec le retour actuel du loup. Vraisemblablement venu d’Italie, sa présence a été remarquée dans les Alpes en 1992, avant leur expansion à partir du milieu des années 2000. On compterait aujourd’hui environ 500 loups, avec une forte présence dans le massif des Alpes.
N’est-il pas heureux et bienvenue que cet animal sauvage, liquidé de manière infâme, soit de retour ? N’est-ce pas le signe de la persévérance de la vie sauvage à se maintenir malgré une traque organisée ? Et surtout, cela n’est-il pas une invitation à ne pas répéter les erreurs du passé ?