L’orpaillage illégal est un véritable catastrophe en Amazonie, qui s’est transformé ces dernières années en une agression de la nature à très grande échelle. Les peuples autochtones constituant les premières nations de Guyane, qui subissent de plein fouet la pollution au mercure consécutive à l’extraction de l’or, affirment leurs droits légitimes, directement liés à l’affirmation de la protection de la nature.
C’est l’objet d’une tribune signée dimanche 13 septembre 2020 par plusieurs associations qui se placent sur le plan du Droit pour contraindre l’État français à mettre en place un cadre démocratique nouveau en ce qui concerne la Guyane.
Aucune quête identitaire ici, ni quelconque démarche « inclusive ». Au contraire, la démarche est fondée sur une réalité matérielle tout à fait concrète, consistant en le rapport historique à la nature des peuples autochtones constituant les premières nations de Guyane. L’État français n’est pas rejeté en tant que tel, de manière abstraite, mais il est fait appel à la substance de sa réalité légale, c’est-à-dire le droit, pour établir un cadre démocratique nouveau et conforme à la réalité naturelle amazonienne.
Voici la tribune :
« Pour protéger l’Amazonie française et ses gardiens, reconnaissons leurs droits
Donner une personnalité juridique aux écosystèmes amazoniens de Guyane et enfin reconnaître le statut des premières nations permettrait une meilleure protection de leurs droits face au scandale écologique et sanitaire de l’orpaillage illégal qui frappe la France sur son territoire d’Outre mer. En ce 13eme anniversaire de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, les associations Wild Legal, Organisation des Nations autochtones de Guyane, Maiouri Nature Guyane, collectif Or de question ainsi tous les signataires de cette tribune souhaitent rappeler à l’Etat ses obligations pour la sauvegarde des droits de la nature et des amérindiens wayana.
Samedi 12 septembre, l’Ecosystème Darwin (Bordeaux) a été la scène de la première conférence-procès pour les droits de la nature et des peuples autochtones, un procès-simulé né de la collaboration entre étudiants en droit, associations guyanaises et métropolitaines et experts, au sein du programme Wild Legal.
Sur le banc des accusés : l’Etat français, attaqué en justice pour carence fautive dans la lutte contre l’orpaillage illégal. Face à lui : les organisations de défense du peuple autochtone wayana et des écosystèmes amazoniens de Guyane.
À la barre, les experts Alexis Tiouka, juriste en droit des peuples autochtones, Valérie Cabanes, juriste internationaliste, experte du crime d’écocide et Jean-Pierre Havard, humanitaire engagé pour la santé du peuple wayana ont éclairé les débats.
Rappel des faits
Au nord ouest de la Guyane, le fleuve Maroni sépare le Suriname et la France et se jette dans l’Océan Atlantique. Sur ses rives immensément riches en biodiversité, habitent les amérindiens wayana. Depuis plus de 30 ans, cette région de Guyane française souffre des impacts de l’orpaillage illégal responsable de la destruction de près de 12.000 ha de forêt et de 1.800 km de cours d’eau. Alors qu’il devrait s’agir d’un sanctuaire pour les espèces animales et végétales, 143 sites illégaux ont été recensés en janvier 2020 au sein du parc Amazonien de Guyane et on estime que 10.000 orpailleurs clandestins seraient présents sur le territoire.
La protection des droits humains à un environnement sain et à la santé
L’utilisation du mercure pour extraire l’or entraîne une contamination importante des écosystèmes terrestres et aquatiques. Des centaines de tonnes de ce produit chimique ont été déversées dans la nature, et remontent ainsi la chaîne alimentaire jusqu’à l’homme. Les dépistages réalisés chez les amérindiens wayana montrent des taux de contamination mercurielle bien supérieurs à la limite sanitaire de 10 μg/g de cheveu recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les enfants sont particulièrement exposés in utero et les habitants souffrent des effets de cette imprégnation excessive qui provoque des troubles cognitifs, l’altération du système nerveux et particulièrement des fonctions de la vue et de la coordination motrice.
Depuis 1994, les études se succèdent, mais l’Etat s’est contenté de mettre en place des mesures d’information pour conseiller aux Wayana de changer leurs habitudes alimentaires en renonçant à la consommation de poisson, fortement contaminé. Il semble échapper aux pouvoir publics qu’étant donné l’absence d’alternative pour ce peuple qui tire sa subsistance du fleuve, cette injonction ne peut que rester lettre morte sans la mise en place d’un programme alimentaire étatique de substitution.
Nous appelons l’Etat français à respecter ses engagement découlant de la ratification de la Convention de Minamata sur le mercure et à prendre au sérieux son obligation de garantir le droit à la santé des Wayana en mettant en place une veille sanitaire et une aide alimentaire, mais aussi et surtout, à leur assurer un environnement sain en renforçant massivement les moyens de la lutte contre l’orpaillage illégal.
La reconnaissance des droits des peuples autochtones
Treize ans aujourd’hui que la France a voté la Déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones et pourtant, elle refuse toujours de reconnaître un statut particulier aux amérindiens de Guyane. Se cachant derrière une lecture restrictive et passéiste de l’article 1er de la Constitution posant le principe d’indivisibilité de la Nation, elle prive ces peuples de droits légitimes propres à leur histoire, leur lien à la terre et leurs cultures.
Sur le Maroni, les activités sociales, économiques, alimentaires et culturelles des peuples autochtones dépendent du lien étroit avec leur environnement, aujourd’hui menacé et en partie détruit par l’orpaillage illégal. Il est nécessaire d’affirmer que la conservation de la biodiversité amazonienne implique la protection des modes de vie et des cultures amérindiennes.
Nous demandons à l’Etat de reconnaître les droits fondamentaux et bio-culturels de ce peuple, son rôle déterminant dans la protection de la nature et par conséquent l’importance de mettre en place une gouvernance partagée ainsi qu’une coopération renforcée dans la lutte contre l’orpaillage illégal.
La défense des droits de la nature
Du fleuve Atrato en Colombie au mont Taranaki en Nouvelle-Zélande, de nombreux écosystèmes de par le monde se voient aujourd’hui reconnaître des droits propres ainsi qu’une personnalité juridique afin de mettre en place un nouveau régime de protection de la Nature. Il s’agit de garantir dans notre droit une nouvelle relation à la Nature, à la fois respectueuse du fonctionnement des écosystèmes et des besoins humains.
Afin de faire face aux ravages de l’orpaillage illégal en Guyane, nous demandons à l’Etat de reconnaître le Haut Maroni en tant qu’entité vivante bénéficiant du droit à la protection et à la conservation de son intégrité, du droit à la pleine santé et à être exempt de contamination, de pollution et de déchets toxiques, le droit à la régénération et à la continuité de ses cycles et processus vitaux, le droit à la restauration de ses écosystèmes. Nous soutenons également la création d’une commission des gardiens du fleuve composée des représentants amérindiens, exerçant une tutelle légale en collaboration avec les services de l’Etat afin de mettre en place un plan d’action visant à éliminer définitivement les activités minières illégales, un programme de soutien aux projets d’alternatives économiques locales pour garantir la sécurité alimentaire de ce peuple et l’organisation d’une campagne régionale de dépistage du mercure.
Le procès simulé pour l’Amazonie française et de ses gardiens est une première étape, par laquelle nous tenons à alerter l’opinion publique et l’Etat en donnant à voir de nouvelles solutions pour la protection des droits de la nature et des peuples autochtones. Nous attendons de la part du gouvernement une réponse quant aux engagements qui seront pris en ce sens pour mettre fin au scandale humain et écologique de l’orpaillage illégal, défendre l’intégrité du fleuve Maroni et enfin reconnaître les droits des premières nations de Guyane.
Signataires de cette tribune, nous réclamons une mutation profonde de notre modèle juridique afin de défendre les droits de la Nature et des peuples autochtones. Pour faire face aux enjeux écologiques majeurs de notre siècle, il est nécessaire de nous affranchir des jurisprudences obsolètes et de nous engager dans une évolution restructurante de notre gouvernance, reposant sur le respect des droits fondamentaux de tous les êtres vivants, humains et non-humains.
Signataires :
Wild Legal, Organisation des Nations autochtones de Guyane, Maiouri Nature Guyane, Or de question, Alexis Tiouka, juriste en droit des peuples autochtones, Valérie Cabanes, juriste experte du crime d’écocide, Marie Fleury, ethnobotaniste, présidente du Conseil scientifique du Parc amazonien de Guyane, Jean Pierre Havard, association Solidarité Guyane, William Bourdon, avocat, défenseur des droits humains, Eleonore Johannes, collectif des Premières nations, Michel Dubouillé, secrétaire général de Guyane Ecologie, Darwin Climax Coalitions »