Cherchant à ouvrir une nouvelle perspective populiste, Jean-Luc Mélenchon théorise une République mosaïque en modification permanente.
Sur agauche.org, un des marqueurs est de ne pas considérer La France Insoumise (LFI) comme de gauche. Déjà, car LFI ne s’en réclame pas, puisqu’elle se revendique d’un populisme nouveau, qui oppose le « bas » et le « haut » de la société, c’est-à-dire « le peuple » et « l’oligarchie ». Ensuite, parce que LFI diffuse des valeurs hostiles à la Gauche.
On a un exemple de plus à tout cela à l’occasion de l’ouverture, le 21 septembre 2020, du « think tank » de LFI, officiellement un institut devenant bientôt une fondation politique, l’Institut La Boétie.
Étienne de La Boétie est un auteur du 16e siècle, connu pour être présenté par son ami Montaigne comme une illustre figure intellectuelle morte trop tôt et auteur du texte De la servitude volontaire.
L’histoire semble en fait beaucoup plus compliquée, si on voit que Montaigne, à travers ses fameux Essais, relève en fait de la faction ni catholique ni protestante mais pro-État central et que rien ne dit que De la servitude volontaire, texte tout à fait classique de la faction pro-protestante, ait effectivement été écrit par La Boétie.
Mais revenons en à Jean-Luc Mélenchon lui-même, qui a lancé un nouveau concept à l’occasion d’un long discours (assez poussif) au sujet de la fondation de LFI pour son ouverture. Ce concept, c’est la « créolisation », emprunté au poète et intellectuel martiniquais Édouard Glissant.
Jean-Luc Mélenchon fait face en effet à un grand problème. LFI est né sur le terrain d’un dépassement de la Gauche par un populisme empruntant massivement à l’idéologie franc-maçonne, dont Jean-Luc Mélenchon est un représentant historique classique. On a dans cette perspective comme base la « Raison », l’égalité entre les « citoyens », le refus de l’affrontement violent entre les classes, l’esprit constructif et ouvert dans un sens de cogestion, le refus du racisme, le respect complet des institutions et avant tout de la République comme régime.
Or, LFI s’est ouverte de manière massive à tous les courants postmodernes, qui eux sont sur une base anti-universaliste, racialiste, communautariste, etc. etc.
Jean-Luc Mélenchon avait besoin de créer un bricolage pour unir les deux. Comment réaliser un tel bricolage cependant ? Comment conjuguer l’universalisme laïc de la franc-maçonnerie avec le communautarisme et la logique identitaire de la « gauche » postmoderne ?
C’est là qu’intervient le concept de « créolisation », terme qu’on ne peut comprendre que si l’on voit qu’Édouard Glissan dit que « le monde entier s’archipélise et se créolise » :
– la « créolisation », c’est la formation de nouvelles identités mêlant des cultures différentes, mais se coupant de ces cultures ;
– par « archipélisation », il faut comprendre que ces nouvelles identités forment des presqu’îles, des zones séparées dans leur autonomie, mais tout de même reliée à la société.
La créolisation et l’archipélisation seraient donc une transformation permanente de la société par des mélanges qui ne seraient pas un métissage fusionnel avec une disparition des identités, mais au contraire des métissages produisant de nouvelles identités, devenant autonomes et formant une mosaïque. On l’aura compris, la « République » définie par Jean-Luc Mélenchon est le « socle » de cette mosaïque.
On dira : bon, Jean-Luc Mélenchon n’a pas inventé l’eau chaude, il ne fait que reprendre la définition de l’identité américaine du Parti Démocrate : tous pareils, mais tous différents, et inversement. La société produit la communauté des bikers, puis ensuite celle des bikers gays, puis ensuite celle des bikers gays amateurs de funk, avec à chaque fois une séparation pour la formation d’une communauté autonome, qui peut elle-même se transformer en une autre communauté par un mélange avec une autre communauté, etc.
Et c’est vrai. Jean-Luc Mélenchon ne fait que proposer une américanisation de la République française, dans un grand projet fusionnel de communautés non pas « fixées », mais en changement permanente, en remodelage permanent… mais ayant comme centre de gravité le régime. Il a résumé son propos également dans une tribune au Nouvel Obs, en concluant par le mot d’ordre « Semblables dans la différence ».
C’est, au sens strict, le contraire de l’esprit des Lumières et du mouvement ouvrier, pour qui tous les peuples vont fusionner et disparaître dans une république mondiale ; « l’Internationale sera le genre humain ». Être de Gauche, être à Gauche, c’est considérer que, dans 500 ans, il n’y aura plus ni blancs ni noirs ni jaunes ni Chinois ni Français ni Indiens etc. etc. mais seulement des êtres humains formant une communauté universelle.
N’importe quel film de science-fiction un tant soit peu sérieux aborde toujours cette question par l’intermédiaire d’extra-terrestres scandalisé de voir les êtres humains divisés en races et nations. C’est le principe de base de n’importe quel intellectuel de Gauche traitant de l’humanité. Être de Gauche implique un point de vue planétaire.
Jean-Luc Mélenchon va à l’encontre de cela, il dit : les identités d’accord, si elles sont temporaires, si elles contribuent à d’autres identités elles-mêmes temporaires. C’est la même chose que l’idéologie LGBT devenue LGBTQIA+ etc. etc. par inflation identitaire. C’est l’idéologie du marché et Jean-Luc Mélenchon propose à la République française d’assumer le modèle américain, plus conforme à la modernité du capitalisme triomphant.
C’est évidemment en rapport avec son projet présidentiel pour 2022 ; c’est une tentative de lancer un projet populiste pour encore une fois nier la lutte des classes.