Il existe deux formes traditionnelles d’organisation à Gauche, qui viennent d’un côté du socialisme français, de l’autre de la social-démocratie allemande et autrichienne avec son prolongement russe de type bolchevik.
Il y a la tradition socialiste française historique, de la SFIO, reprise par le trotskisme : l’organisation a plusieurs tendances, elles sont reconnues, elles ont le droit d’exprimer leur avis de manière organisée, il y a une représentation proportionnelle du poids de ces tendances au niveau de la direction.
Le Parti socialiste s’appuie sur cette démarche, notamment défendue par Léon Blum au congrès de Tours en 1920.
Il y a ensuite la tradition communiste, importée du bolchevisme, mais qui prolonge directement la social-démocratie : unité organique, homogénéité, le Parti fait bloc.
Le PCF a repris cette conception centraliste démocratique en 1920 à sa fondation, pour l’abandonner progressivement au profit d’un certain fédéralisme puis, après 1989, de courants le traversant.
Ces modes d’organisation traversent toute la Gauche historique, jusqu’aux syndicats étudiants des années 1980, puisque l’UNEF-ID liée aux socialistes et aux trotskistes reconnaissait le droit de tendance, alors que l’UNEF liée au PCF (avec de petites poches maoïstes parfois) ne le reconnaissait pas.
Dans tous les cas, les décisions prises par l’organisation sont prises dans l’organisation et ne dépendent que d’elles. C’est la notion, si on veut, d’avant-garde, ou en tout cas de minorité plus avancée en termes de conscience politique.
Le modèle Démocrate américain importé en France
Depuis une dizaine d’années, cette tradition de la Gauche historique est mise à mal par une approche calquée sur les Démocrates américains, qui sont l’équivalent de nos libéraux. L’idée n’est pas de centraliser les forces vives, mais au contraire de chercher à élargir la base à mettre en mouvement, en avalant des propositions venant de-ci de-là, afin de former une sorte d’entonnoir pour attraper des gens prêts à se bouger.
C’est pourquoi la Gauche se voulant moderne a instauré les primaires, allant bien au-delà des rangs des partis et organisation. C’est là, bien entendu, du populisme. L’idée repose d’ailleurs sur le contrat : je te soutiens si tu prends certaines de mes idées, et même si tu n’es pas le candidat choisi, lui-même va reprendre certaines de mes idées donc je vais le suivre, et ainsi de suite.
Jean-Luc Mélenchon lance noussommespour.fr
Jean-Luc Mélenchon, qui récuse la Gauche historique et assume ouvertement le populisme, a fait ce choix en proposant qu’il y ait 150 000 signatures pour le « parrainer ». Il a ouvert un site pour cela, noussommespour.fr.
Cela avait très bien marcher lors de l’élection présidentielle précédente, notamment chez les jeunes, qui se sont sentis investis d’une « mission »… pour disparaître totalement dans la foulée.
C’est que ce genre de populisme n’est qu’un fusil à un coup. Une fois qu’on a tiré, il ne reste rien, mais cela ne dérange pas ceux qui sont uniquement dans une perspective électoraliste. Jean-Luc Mélenchon a la même démarche : il suffit de lire ses propos dans sa vidéo de présentation.
On chercherait en vain un contenu et il est évident que c’est du racolage de première.
« Alors vous le savez : je propose ma candidature pour l’élection présidentielle de 2022. Mais pour déposer définitivement cette candidature, je demande une investiture populaire. C’est-à-dire 150 000 personnes signant pour me parrainer.
Pourquoi 150 000 ? En fait j’ai déjà utilisé ce nombre pour une proposition de loi déposée à l’Assemblée Nationale.
L’idée c’est que chaque personne, du seul fait qu’elle est inscrite sur une liste électorale, puisse parrainer une candidature à l’élection présidentielle. Pour l’instant ce droit est réservé exclusivement aux élus.
Alors, si vous êtes 150 000 à signer ici je me considèrerai investi par vous pour l’élection présidentielle, avec mon programme « l’Avenir en commun ». Il a déjà recueilli 7 millions de voix en 2017. Il est toujours d’actualité, il répond aux besoins du pays et du moment dans lequel nous vivons.
La suite dépend de vous. Ici, il s’agit de signer et puis vous pouvez suivre le parcours en 3 étapes.
Vous déciderez librement de ce que vous voulez faire pour aider.
Merci d’être d’avoir été là, à mes côtés, dans ce moment décisif. »
Un tel populisme peut-il fonctionner encore une fois ? Et ce d’autant plus dans une situation de crise dans tous les domaines ? Bien sûr que oui… mais à Droite. Quand on se joue à ce petit jeu là des raccourcis et des coups à trois bandes, quand on s’imagine Machiavel, on rentre dans le mur, à moins d’être un fasciste. Seule la démagogie la plus totale sait s’adapter et réussir.
Quand on est de gauche, on veut de la conscience, de l’intellect, de la raison. On cherche à élever le niveau, à arracher les gens à une société capitaliste exploiteuse et aliénante. On contribue à des analyses de fond, à une vision du monde claire et lisible, on propose des valeurs aux contours bien définis.
Jean-Luc Mélenchon n’a très clairement plus rien à voir avec la Gauche et on voit bien qu’il cherche à la torpiller. Il n’y parviendra pas.