Sur toute la crise du Nagorny-Karabagh, la Gauche française a lamentablement raté son devoir : affirmer ses valeurs et ses principes, c’est-à-dire la Démocratie et la Paix entre les peuples.
À de rares exceptions près, la Gauche française et l’opinion publique favorable à la paix ont attendu bien silencieusement la fin du conflit au Karabagh pour prendre position sur le fond. C’est tellement vrai qu’on a un « appel des artistes français en faveur de l’Arménie et de l’Artsakh » mis en avant par Le Figaro, en date du 20 novembre, soit alors que tout a été déjà plié politiquement, militairement et diplomatiquement depuis dix jours !
Cet appel, qui résume les Azerbaïdjanais à des monstres envahisseurs, n’est pas sans rappeler celui du 11 novembre et publié sur L’Obs : « Haut-Karabakh : pourquoi ce silence de la gauche occidentale ? ». Rappelons qu’on était là… déjà près de 48h après la capitulation de l’Arménie !
C’est que le problème est complexe et qu’il y a grosso modo trois camps.
Il y a ceux qui ont pris partie pour les vainqueurs, soit en ne disant rien, soit en pratiquant un suivisme sans aucun sens critique. On a vu des reportages de BFMTV, des articles du Monde même, reprendre presque mot pour mot la propagande de guerre du régime de Bakou. Ce dernier a évidemment forcément fait tourner à fond ses réseaux, ses distributions de pétro-dollars pour des « partenariats », de la corruption, etc.
Il y a ceux qui ont refusé la simplicité apparente d’une telle victoire et ont regardé vers l’inévitable horizon soviétique, puisque dès les années 1920, il y avait déjà trois fois plus d’Arméniens à Bakou et dans les grandes villes d’Azerbaïdjan qu’au seul Karabagh. Un Karabagh dont les Arméniens se tournaient vers la ville de Gandjak/Gəncə en Azerbaïdjan, bien plus alors qu’à la capitale arménienne qu’aucune route ne reliait au Karabagh. Stepanakert, la capitale du Karabagh que les nationalistes turcs veulent rebaptiser Xankəndi, s’appelle également ainsi en mémoire du plus grand révolutionnaire d’Azerbaïdjan, le bolchévik arménien Stepan Chahounian.
L’idée est alors rapidement formulée que l’URSS avait réussi à neutraliser les nationalismes et à instaurer des rapports productifs entre les peuples, grâce à Staline qui était, après tout, un Caucasien expert en nationalités. C’est la ligne « caucasienne » défendue par le PCF(mlm).
À l’opposé de cette lecture soviétique caucasienne typiquement années 1930-1950, le PCRF qui valorise l’URSS également après cette période considère que la situation a désormais changé et que les Arméniens du Karabagh portent désormais un mouvement de libération nationale. Il faut donc l’auto-détermination, mais sans tomber dans les jeux « impérialistes ».
Le PCF dit quant à lui la même chose que le PCRF, mais en appelant, en plus de la reconnaissance de la « République d’Artsakh », à sa « mise en protection internationale » : il faudrait que l’Union européenne et la France s’en mêlent. C’est notamment le sénateur Pierre Ouzoulias qui a tenté d’organiser un petit mouvement, en se mettant à la remorque du nationalisme arménien et en s’appuyant sur l’orientalisme français. Il n’hésite par exemple pas à accorder des entretiens à la revue nationaliste chauvine arménienne « Nouvelle d’Arménie » (dont le site internet s’appelle « armenews »).
C’est que le PCF mène en ce moment justement, ou tente de mener, un retour sur le devant de la scène « géopolitique ». On devine qu’il s’agit d’appuyer la France contre la Russie. Le samedi 21 novembre, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou était d’ailleurs dans la capitale arménienne pour rencontrer le Premier Ministre arménien Nikol Pachinian et le chef du ministère de la Défense de la République arménienne Vagharshak Harutyunyan. Le premier ministre arménien, élu à l’origine pour s’opposer à la Russie, a naturellement expliqué qu’il fallait renforcer la coopération avec la Russie pour la sécurité, les questions militaires, etc.
Or, cet appel à l’intervention française converge avec le troisième camp, composé de ceux qui cherchent à diffuser le nationalisme et la religiosité. Il y a une vaste opération de la part de la Droite, bien aidée évidemment par les nationalistes arméniens fanatiquement pro-religieux, pour lancer des appels à soutenir « l’Arménie rempart de l’Occident chrétien ». L’idée, c’est de présenter l’affrontement ayant eu lieu au sujet du Karabagh comme le modèle réduit d’un affrontement mondial étant la seule véritable actualité.
Le résultat de toute cette stratégie, de toute cette agitation, c’est une proposition de reconnaissance de la « République d’Artsakh » enregistrée le 18 novembre au Sénat, portée par Bruno Retailleau, président du groupe républicain au Sénat. Il l’a présenté comme suit dans un message sur Twitter :
« Le 25 novembre, le Sénat examinera une résolution proposant la reconnaissance par la République française de la République d’Artsakh. Seule son indépendance peut garantir durablement les droits et libertés des populations du Haut Karabakh face à l’expansionnisme islamiste turc. »
On a ici une vraie question de fond. Faut-il, pour une raison ou une autre, soutenir la tendance à la balkanisation identitaire avec à l’arrière-plan les jeux des grandes puissances… ou faut-il croire en la Démocratie, en la capacité du peuple, de tous les peuples, à la porter ?