Alors qu’en novembre cela faisait 45 ans que Franco est mort, plus d’une centaine de hauts gradés espagnols ont lancé un avertissement très clair.
Ce qui se passe en Espagne est riche d’enseignements pour ceux qui pensent que La France Insoumise relève encore de la Gauche. En effet, il y a en Espagne Podemos, son équivalent, et comme la démarche est populiste, il n’y a strictement aucune compréhension du parcours historique du pays, de la lutte des classes qui s’est déroulée et qui se déroule.
Or, la crise révèle les jeux des uns et des autres ; tout comme en France, l’armée est en Espagne un vecteur extrêmement puissant du régime. Et là la pression devient explosive. Il y a déjà une lettre au roi de 73 hauts gradés à la retraite, qui dénoncent le gouvernement espagnol actuel, présenté comme social-communiste, l’accusant de soutenir le terrorisme et le séparatisme. Un lieutenant général, deux généraux de division, quatre généraux de brigade et 66 colonels parlent de décomposition de l’unité nationale. C’est l’argument tout à fait classique du franquisme.
Mais ce n’est pas tout : cette lettre a été précédée d’une autre, quelques semaines auparavant. Pareillement envoyée au roi, elle avait été signée par 39 hauts gradés à la retraite de l’armée de l’air. Le gouvernement était pareillement dénoncé comme hostile à l’unité nationale, à la stabilité du régime, etc. La lettre n’avait pas été révélée par le roi, c’est une revue d’extrême-Droite qui en a parlé tout récemment.
Ce qui est marquant, c’est bien entendu le black-out à ce sujet. L’affaire devrait faire scandale, mais le régime espagnol étant ce qu’il est et la situation étant ce qu’elle est, on a compris que personne ne veut prendre le risque de parler des choses ouvertement.
La ministre de la Défense, Margarita Robles, une socialiste, s’est ainsi contenté de dire que le roi appartenait à tout le monde et pas seulement aux militaires signataires ! Une manière de nier les problèmes, tout en se soumettant à la monarchie, bref de pratiquer la fuite en avant pour tenter que tout se tasse.
C’est la pratique du PSOE depuis la mort de Franco, avec à l’époque une fracture immense entre la Gauche ayant reconnu la constitution espagnole octroyée par le roi à la suite de la mort de Franco et celle la récusant, dans le prolongement républicain de la guerre d’Espagne. Podemos, actuellement au gouvernement avec le PSOE, ne relève ni de l’un de l’autre, mais ayant fait le choix du populisme, il considère que ce genre de problématique est dépassée. L’Espagne actuelle n’aurait rien à voir avec celle du passé, son dirigeant Pablo Iglesias a reproché aux officiers de mettre le roi dans une position désagréable, etc. C’est la même ligne que La France Insoumise.
Le résultat est que le PSOE ne veut pas combattre la menace de coup d’État et que pour Podemos, elle n’existe tout simplement pas. C’est d’autant plus grave qu’il y a désormais le parti Vox dont la ligne est très clairement de réactiver la base franquiste présente dans la société espagnole. Il a eu 3,6 millions de voix aux élections de novembre 2019. Le général Fulgencio Coll Bucher, ancien chef d’état-major, désormais membre de Vox, avait d’ailleurs publié un article la même année dans le quotidien El Mundo pour exiger que les socialistes soient chassés de l’armée. Et l’expression « social-communiste » utilisée par les officiers à la retraite puise dans la rhétorique du dirigeant de Vox, Santiago Abascal, qui en fait la clef de ses dénonciations.
Il faut se rappeler ici de l’appel du 31 juillet 2018, signé par 181 hauts officiers à la retraite, sobrement intitulé « Déclaration de respect au Général Francisco Franco Bahamonde, soldat de l’Espagne. » Cette déclaration connut un grand succès dans l’armée, notamment auprès de généraux à la retraite. Et un média espagnol a d’ailleurs révélé le 3 décembre 2020 des discussions Whatsapp d’officiers de l’armée de l’air, dont des signataires de la lettre au roi, appelant à l’exécution des ennemis du régime et même de 26 millions de personnes. C’est une référence à la remarque du journaliste américain Jay Allen à Franco, comme quoi il devrait fusiller la moitié du pays s’il voulait vaincre la République. Franco répondit qu’il était prêt à payer n’importe quel prix pour la victoire.
Vox a naturellement pris partie pour les officiers concernés et son dirigeant Santiago Abascal est même allé envoyer un message de salutations! C’est dire l’ambiance. Et il n’est pas possible de ne pas faire le parallèle avec ce qui nous risque d’arriver en France avec Pierre de Villiers. Il a déjà la même rhétorique : le régime perd ses fondements, il faut remettre de l’ordre, il faut un arrière-plan militaire, etc. En France, le fascisme n’a pas été et ne sera pas, vraisemblablement, comme en Allemagne et en Italie. Il a été comme en Espagne un mouvement de Droite populaire pro-coup d’État, avec des petits groupes provocateurs et terroristes en parallèle. C’est cela qui se profile si l’on considère que le régime a la même base que dans les années 1930 et que la crise nous précipite dans une réédition de celles-ci.