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Culture: un manifeste engagé de 1600 structures et médias indépendants face à la crise

Le Manifeste des structures culturelles et des médias indépendants dénonce une situation intenable dans le monde de la culture, avec la crise du Covid-19 et affirme des perspectives claires et concrètes.

Le monde de la culture est fortement impacté par la crise sanitaire du Covid-19, qui a totalement chamboulé la vie quotidienne. Les plus gros tirent en générale leur épingle du jeu du fait de leur position dominante et, dans certains secteurs, quelque uns bénéficient carrément de la crise pour accroître leur monopole sur la culture. Par contre, en ce qui concerne les petites structures indépendantes, souvent associatives ou ayant un fonctionnement quasiment associatif, en dehors d’une démarche strictement capitaliste, le drame est immense, alors que qui plus est la situation était déjà compliquée au préalable.

Le sens du Manifeste des structures culturelles et des médias indépendants est de dénoncer une situation intenable, en mettant sur la table en état des lieu de la situation, accompagné de perspectives claires et concrètes. Le texte fait pas moins de 240 pages et c’est l’aboutissement d’un travail collégial et multisectoriel minutieux pendant 9 mois, suite à un appel lancé dès mars 2020.

C’est très dense, évidemment fastidieux à lire, mais c’est en tous cas ancré dans le quotidien de ce monde de la culture, dans sa version urbaine et ayant relativement une dimension alternative en ce qui concerne la vie quotidienne.

Ce sont ainsi 1600 structures culturelles et médias qui signent le document, issus essentiellement du monde de la musique, dont beaucoup de la musique électronique, évoluant pour la plupart localement dans les grandes villes françaises.

On retrouvera les signataires à cette adresse, classés par ville : appeldesindependants.fr/signataires

Le ton est franchement démocratique, avec la volonté de changer en profondeur les choses en France :

« Ce manifeste assume sa dimension engagée, « politique » au sens noble : des centaines d’acteur·rice·s de la culture et des médias se sont investi·e·s dans une réflexion transsectorielle dépassant les intérêts particuliers et les corporatismes pour porter une contribution collective au débat démocratique. Avec pour boussoles la pratique du terrain, l’intuition artistique, l’expérimentation de nouveaux modèles. »

Dans la période actuelle, propice aux replis individuels ainsi qu’à la folie guerrière et nationaliste, on doit forcément remarquer et s’intéresser à un tel manifeste du monde de la culture, affirmant aussi forcément le collectif :

« Nous sommes des structures souvent peu visibles, et qui sont prêtes à s’engager, au-delà de leur intérêt particulier, pour l’intérêt général. »

Pour autant, il ne faudrait pas s’imaginer qu’il s’agit là d’une scène entièrement alternative et profondément contre-culturelle, comme cela existe ou a pu exister à Berlin par exemple, mais plutôt de structures évoluant dans le champs de la subvention publique.

C’est d’ailleurs typiquement français, car il y a en France beaucoup d’argent public dirigé vers le monde de la culture, et inversement le monde de la culture est presque systématiquement dépendant, au moins en partie, des subventions publiques. Cela fait que le manifeste, au fond, a surtout pour discours de réclamer à ce que l’argent public soit orienté différemment, avec une meilleure prise en compte d’enjeux modernes et de tout un pan moderne de la culture, avec aussi une plus grande transparence démocratique quant à ce fonctionnement.

« En France en particulier, le sujet n’est pas celui des ressources publiques mobilisées pour la culture – elles sont considérables et en tout cas bien supérieures à celles disponibles ailleurs sur la planète – mais la question est bien celle de leur répartition.

Nous constatons en effet que si la mobilisation des pouvoirs publics est forte à l’endroit des dispositifs de chômage partiel, elle s’inscrit d’ores et déjà pour dessiner l’avenir dans une logique de conservation, de restauration et de retour à l’avant-crise, dans la plus grande opacité et sans le moindre débat sur les enjeux profonds d’une refondation du secteur de la culture et des médias. 

Oui, il faut un « New Deal de la culture et des médias ». Nous l’appelons de nos vœux, en ordre dispersé, depuis des années. Mais, la question est celle de ses enjeux, de son périmètre, de ses objectifs et de sa méthode. La question est celle de nos priorités collectives et de notre capacité à imaginer le futur plutôt qu’à administrer le passé.

À ce titre, en refusant de privilégier la jeunesse, l’avenir et l’innovation, en leur préférant le patrimoine et l’immobilisme, la philosophie et les orientations budgétaires du volet culture du plan de relance et du projet de loi de finances 2021 constituent, de notre point de vue, une erreur historique. »

Tout cela a de la valeur, en ce que cela se confronte concrètement et en pratique à la pénétration du capitalisme et des valeurs propres au capitalisme sur la vie quotidienne, dans le domaine de la culture.

Cela n’est pas défini comme ça bien sûr, car cela fait des années et des années qu’en France la Gauche a sombré et n’est plus capable d’expliquer que le problème justement, c’est le capitalisme. Il est donc parlé, de manière typiquement urbaine, d’oppression, d’inclusion, d’exclusion, de diversité, etc. Il est alors prôné :

« Un horizon réinventé collectivement, depuis le terrain, en rupture avec trois décennies de conservatisme et en phase avec les priorités et urgences de notre temps : la reconquête démocratique, la résorption des fractures sociales et territoriales, l’affirmation du rôle de la jeunesse et l’écologie. »

Notons d’ailleurs au sujet de l’écologie, qui est évoqué à de nombreuses reprise dans le manifeste, qu’il n’y a pas vraiment une réflexion en profondeur à ce sujet, ou alors simplement de manière passive avec la volonté (importante) de réduire l’impact sur l’environnement. La culture est pourtant un lieu privilégié pour exprimer le rapport nouveau à la planète Terre que doit entamer l’humanité, avec une écologie affirmée de manière positive. Cela d’autant plus que la crise actuelle, concrètement et de manière très précise, est le produit du rapport erroné de l’humanité à la nature, en l’occurrence aux animaux.

C’est qu’à un moment il faut savoir remettre en cause la vie quotidienne, sans quoi on est une partie du problème, pas de la solution. Le Manifeste des structures culturelles et des médias indépendants est néanmoins un document important, qui exprime une volonté de changement pouvant exister dans la société française et c’est malheureusement assez rare.

Pour apporter justement un sens productif, on constatera que cette position est ambivalente car à la fois tournée vers l’État, donc vers le collectif, et en même temps fondée sur un fétichisme de l’indépendance (qui est en faite relative), des différences, du particularisme, etc. C’est là typiquement le reflet d’une incapacité à se tourner vers la population au sens large, dans sa dimension de masse, au profit d’un certain esprit d’aventure culturelle tout à fait petit-bourgeois.

Rappelons ici la situation de la culture en France, qui est grossièrement coupée en deux, entre de multiples petits mondes semi-alternatifs, qui échappent partiellement à l’emprise capitaliste, et la culture de masse qui par contre est presque entièrement sous la coupe de grandes structures capitalistes, de ce qu’on appel l’industrie du divertissement. Les petits mondes semi-alternatifs ne veulent pas des grandes structures capitalistes, mais sont très complaisants avec elles et sont aisément corrompus par la dimension urbaine, branchée, avec les soutiens de l’État.

C’est là toutefois un problème secondaire, car ce qui compte et ce qui va compter de plus en plus avec la crise, c’est d’avoir des espaces d’affirmation démocratiques et collectifs, pour faire face au rouleau compresseur capitaliste et à la mobilisations nationalistes et guerrière. Il faudra alors de la confrontation, de la résistance, et celle-viendra forcément aussi du monde de la culture.