L’armée française cherche à s’améliorer pour écraser la révolte et mener ses guerres en engageant dix auteurs de science-fiction.
Les véritables auteurs de science-fiction ont toujours été opposés aux guerres ; leurs œuvres établissaient un chemin vers l’utopie, vers la fusion de l’humanité en une seule communauté mondiale, pacifiée, se tournant vers l’exploration spatiale dans des buts scientifiques. Avec la corruption et la décadence propre au capitalisme, il y a eu au fur et à mesure des gens qui se sont vendus et ont cherché à refléter la vision du monde dominante.
L’exemple le plus connu est Star Wars, un space opéra s’appuyant non seulement sur des chevaliers et non plus sur l’histoire de l’humanité en général, mais reflétant qui plus est directement la vision du monde américaine : d’un côté une société composée de gens très différents, fonctionnant par intuition, de l’autre une société organisée et planifiée. C’était l’allégorie du monde libre, États-Unis en tête, face au Communisme.
Et au même moment, les États-Unis avaient avec Ronald Reagan utilisés certains auteurs de science-fiction opportunistes pour des travaux d’anticipation, dont le très prolixe paléoconservateur Jerry Pournelle, au cœur de la démarche et théoricien de la guerre des étoiles pour l’armée américaine, mais également Robert A. Henlein (Starship Troopers), Poul Anderson (La Patrouille du temps), Larry Niven (L’Anneau-Monde).
Dix auteurs ont décidé de faire encore pareils et de travailler directement pour l’armée française. Ce faisant, ils se comportent comme des renégats, des traîtres à la Culture et à la tradition de la science-fiction, de l’anticipation, tournée vers l’Utopie. Cela étant ils montrent au moins qu’en agissant ainsi ils sont dans l’esprit réactionnaire de la littérature de Fantasy et tout ce qu’ils apporteront sera vain, car délirant, subjectiviste, fantasmagorique.
On ne peut pas écrire Star Trek et contribuer à la guerre, on peut écrire Dune ou encore Conan le barbare et le faire mais cela sera délirant. Le directeur de l’Agence de l’Innovation de Défense Emmanuel Chiva a demandé aux auteurs de «percer le mur de l’imagination», il ne sera pas déçu : seuls des décadents tournés vers la Fantasy peuvent aider l’armée à faire la guerre et écraser des révoltes. On ne peut pas être un auteur de science-fiction – au sens d’anticipation et non pas de Fantasy – et ne pas être de gauche ! L’avenir, c’est la Gauche, la réaction, c’est la Droite !
Le symbole d’auteurs se revendiquant de la science-fiction et aidant l’armée française est en tout cas écœurant. Il y a même eu 600 candidatures. 600 personnes prêtes à aider l’armée pour les guerres… mais aussi pour préparer à la liquidation des futures rébellions en France. 600 personnes dont on sait déjà dans quel camp ils seront à la prochaine révolte… Que les auteurs choisis doivent d’ailleurs anticiper.
Pour la première saison, ils doivent par exemple déjà imaginer comment des « pirates » anti-occidentaux et une nation-pirate avec comme devise « Fraternité Liberté Biodiversité » pourraient opérer – c’est-à-dire comment des gens n’ayant rien matériellement peuvent concrètement chercher à affronter une armée classique. C’est là dans la grande tradition contre-insurrectionnelle française ou encore celle de la contre-guérilla de la School of Americas.
Il s’agit d’aider l’armée – par définition avec des décideurs bornés, réactionnaires, traditionalistes – à s’adapter plus facilement à une rébellion par définition pleine d’initiatives, au moyen de scénarios préparatoires. Voici la présentation officielle de la Red Team :
« Conception et restitution de scénarios de disruption opérationnelle, technologique ou organisationnelle au profit de l’innovation de Défense (Red Team)
Le projet de marché ‘Red Team’ vise à concevoir et restituer des scénarios d’adversité et de menaces à l’horizon 2030 à 2060, dans les domaines opérationnel, technologique ou organisationnel au profit de l’innovation de Défense. Il permet dans ce cadre de réunir et animer un collège de prospectivistes sous l’égide de l’Agence de l’Innovation de Défense, l’État-Major des Armées, la Direction Générale de l’Armement et la Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie dans le but d’imaginer et d’éclairer les conflits futurs.
À ce titre le marché Red Team nécessite :
– la composition et l’organisation d’une équipe projet (auteur(e)s et scénaristes de science-fiction) ;
– la conception spécifique de travaux prospectifs ;
– la restitution de travaux prospectifs. Les prestations et fournitures du marché se répartissent par » saisons » couvrant chacune une période de 12 mois. La première saison, appelée » saison 0 « , ne couvrira qu’une période pouvant aller jusqu’à 8 mois. Il est prévu 4 saisons au marché (saison 0, 1, 2 et 3).
Voici la liste des auteurs payés par l’armée pour participer à cette « Red Team », notons au passage que c’est un nom ridicule de par son côté anglophone et que l’utilisation de la couleur rouge de la révolution est une sorte de provocation :
- le scénariste Xavier Dorison (Les brigades du tigre, Undertaker, Long John Silver) ;
- l’écrivain Laurent Genefort (Omale) ;
- l’écrivain et directrice de recherche au CNRS en science-politique et en sociologie de l’innovation Virginie Tournay (Civilisation 0.0) ;
- l’écrivain Xavier Mauméjean (Les Mémoires de l’Homme-Éléphant, La Vénus anatomique) ;
- l’écrivain Romain Lucazeau (Latium) qui travaille également pour le think tank patronal L’Institut de l’entreprise ;
- l’écrivain Hervé Albertazzi dit DOA (Pukhtu, Citoyens clandestins) ;
- le dessinateur et scénographe François Schuiten (Les cités obscures, Terres creuses) ;
- l’étudiante en design d’interaction Jeanne Bregeon ;
- les écrivains Capitaine Numericus et Hermes, qui ont préféré l’anonymat car ils ont compris qu’ils allaient tous être dénoncés pour leurs activités.
Laurent Genefort et Romain Lucazeau ont accordé une interview à la revue Le Point, qu’on sait très marqué à Droite ; ils expliquent que les militaires sont ouverts, que le milieu de la Science-Fiction n’existe pas, que faire des choses différentes c’est sympa, qu’ils œuvrent à l’intérêt général. On est là au degré zéro de l’intelligence ou au maximum de l’hypocrisie. Et, en tout cas, dans un positionnement totalement pro-guerre et anti-populaire. Voici deux heures de présentation très détaillée du travail de la Red Team, de la nature des scénarios (par exemple à 42:45, 1:20:20 et 1:27:30), et on voit très bien le soutien fait à la modernisation de la guerre.
Une telle Red Team n’aurait pas pu exister il y a encore quelques années. Il a fallu tout un lessivage de la société pour qu’une telle chose existe, pour que des auteurs de science-fiction osent se positionner en faveur de l’armée, de sa modernisation, de ses scénarios de guerre et de contre-rébellion ! Cela en dit long sur le changement d’époque… et sur ce qu’il y a à mener comme travail dans la bataille des idées, la bataille pour la Culture !